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Clearstream, acte 2


Clearstream, acte 2
Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, photo Franck Prevel (flickr.com).
Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, photo Franck Prevel (flickr.com).
Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, photo Franck Prevel (flickr.com).

La scène politique et médiatique ayant horreur du vide, l’arrêt provisoire de la baston au Parti socialiste a déjà laissé place aux aventures de Dominique Galouzeau de Villepin, ci-devant Premier ministre traîné en justice pour « complicité de dénonciation calomnieuse » dans la ténébreuse affaire Clearstream.

Ce procès, qui doit s’ouvrir le 21 septembre, est l’aboutissement judiciaire du combat sans merci que Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy se sont livrés en 2004-2005 pour la prise de contrôle de l’UMP, clé de la présidentielle de 2007.

D’ores et déjà, la machine éditoriale et médiatique[1. Une histoire de fous, du journaliste Frédéric Charpier, qui vient de paraître au Seuil, raconte par le menu les détails parfois hallucinants de ce feuilleton politico-barbouzard.] s’est mise en mouvement pour donner à cet événement un écho à la mesure des enjeux des deux principaux protagonistes de cette affaire. Pour le président de la République, il s’agit de terrasser définitivement l’ancien Premier ministre au moyen d’une sanction pénale propre à l’écarter définitivement de la vie politique. La clémence ne faisant pas partie des valeurs cultivées par notre président, surtout lorsqu’elle ne semble d’aucune utilité politique, il n’y a pas de raison qu’il se prive du délicat plaisir de voir son ancien rival se faire écraser la gueule à coups de talon. Pour DDV, l’objectif est de sortir renforcé de cette épreuve, sinon par une relaxe, du moins en accréditant l’idée, dans l’opinion, qu’il a été victime de l’acharnement judiciaire d’un Nicolas Sarkozy mettant sans vergogne la justice française au service de la défense de ses intérêts personnels.

Nous allons donc assister à un combat de titans qui va nous replonger dans les affaires de coulisses du chiraquisme finissant, dans les arrière-cuisines où se mitonnent les coups tordus et les coups foireux, pendant que, sur le devant de la scène, on fait semblant de former une famille politique unie et chaleureuse.

L’affaire Clearstream n’est que l’un des volets du dispositif mis en place par Dominique de Villepin, dès son arrivée au gouvernement en 2002, pour barrer la route de la présidence de la République à Nicolas Sarkozy. Elle survient un peu par hasard, grâce à Jean-Louis Gergorin, ancien collègue du diplomate Villepin lorsqu’il œuvrait au centre d’analyse et de prévision (CAP) du Quai d’Orsay. Gergorin, qui a pantouflé comme vice-président d’EADS, informe le ministre qu’un informaticien de haut vol, Imad Lahoud, a « forcé » l’ordinateur de la banque de compensation luxembourgeoise Clearstream. Lahoud se serait procuré des listings de clients de cette banque, où figurent, entre autres, des comptes au nom de « Nagy » et « Bocsa », qui désignent clairement Sarkozy, dont le patronyme complet est Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa.

Ce dernier est persuadé que Villepin l’a sciemment maintenu dans l’ignorance de l’existence de ces listings et incité Gergorin à les transmettre de manière anonyme au juge d’instruction Renaud van Ruymbeke, pour lancer la justice sur les traces de manipulations financières illicites dont Sarkozy se serait rendu coupable.

Villepin, de son côté, nie avoir rencontré Gergorin après janvier 2004, alors que Gergorin affirme, lui, l’avoir tenu régulièrement au courant de l’évolution de cette affaire en lui rendant régulièrement visite par la porte de derrière de la Place Beauvau, où Villepin officie alors comme ministre de l’Intérieur.

Au bout du compte, ces listings se révéleront avoir été trafiqués par Imad Lahoud pour mouiller Sarkozy et certains de ses amis, comme l’actuel ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux.

Dominique de Villepin est un personnage singulier dans le paysage politique français. Franchement mégalomaniaque, il se pique de rassembler dans sa seule et unique personne les talents de Talleyrand, Fouché, Chateaubriand et Rimbaud, après les avoir purifiés de toutes les scories qui noircissent l’image de ces illustres modèles.

Ecrivain prolifique, il s’est distingué récemment par un livre racontant l’épopée des Cent Jours de Napoléon, du retour de l’Ile d’Elbe jusqu’à Waterloo, montrant ainsi qu’il a un sens aigu du tragique de l’Histoire. Cela dit, la lecture de certains de ses essais politiques, comme Le requin et la mouette, peut se révéler franchement hilarante, surtout lorsque l’on prononce à haute voix des phrases où la boursouflure du style le dispute au creux de la pensée.

L’homme est fermement persuadé qu’il est promis à un destin à la mesure des plus grands hommes de notre histoire nationale, qu’il est l’incarnation de cet homme d’Etat total, tel qu’il n’en surgit qu’une fois par siècle dans notre pays. Celui-ci s’impose non seulement par son charisme à des concitoyens qui lui reconnaissent l’onction transcendantale, mais il survole, tel l’aigle, la vie politique mondiale comme la vie littéraire de la capitale. La place au XXe siècle étant occupée par Charles de Gaulle, celle du XXIe doit échoir au seul qui en ait la dimension, Dominique Galouzeau de Villepin bien sûr. On sent d’ailleurs, dans les propos qu’il tient sur Sarkozy, tout le mépris qu’il porte à cet usurpateur moral : « Nous avons besoin de garde-fous. Or, tout repose sur la vertu du président lui-même. Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy avaient une conception de leur fonction qui les conduisait à se fixer des limites, prenant en compte l’exigence de sérénité, le rôle d’arbitre, la possibilité d’un recours. Protégeons les dirigeants contre eux-mêmes, en encadrant mieux les pouvoirs », déclare-t-il ainsi dans son entretien publié dans le dernier numéro de L’Express. On notera qu’aucune élection autre que celle qui conduit à l’Elysée n’intéresse notre homme : de minimis non curat praetor.

Cette mégalomanie ne l’empêche pas, pourtant, de montrer une certaine habileté tactique pour préserver ses chances d’arriver à ses fins. Occuper le champ politique comme opposant déterminé au président de la République alors que l’on ne pèse rien, ou presque, dans la famille politique dont on se réclame est assez bien joué : son éventuelle condamnation pourrait alors être interprétée comme une manière peu élégante de se débarrasser d’un concurrent gênant.

Mais derrière le Villepin gardien d’une flamme gaulliste tombée en déshérence après le tournant atlantiste de la France sarkozienne, on ne peut s’empêcher d’entrevoir un manipulateur sans scrupules, activant les réseaux les plus improbables pour discréditer ses adversaires. Ainsi, cette connivence avec Edwy Plenel, avec qui il partage, sinon la philosophie politique générale, du moins une fascination pour le monde des « services » de haute et basse police. On pouvait entendre dans les cocktails, dîners et autres mondanités parisiennes des années 2004-2005 des « éléments de langages » diffusés, avec une adaptation à chaque milieu visé, tendant à démontrer qu’il n’était pas digne de la France de se doter d’un président de la République de si petite taille et dont, de surcroît, l’épouse court le guilledou avec un publicitaire juif marocain. La publication par Paris Match, alors dirigé par Alain Genestar [2. Alain Génestar se fait passer pour une victime de la vindicte sarkozienne qui aurait poussé son « frère » Arnaud Lagardère à le débarquer de la direction de la rédaction de Paris Match. La réalité est plus complexe, même si l’on peut s’offusquer de cette intervention d’un homme politique dans le monde de la presse. Il suffisait d’écouter les chroniques de Génestar sur RFI, où le ministre de tutelle Villepin avait favorisé son embauche comme éditorialiste, pour percevoir son inclination villepiniste…], un affidé de Villepin, des photos de l’idylle new-yorkaise de Cécilia Sarkozy et Richard Attias, fit disjoncter celui qui n’était alors que candidat à la présidence de la République et qui s’employa alors, avec succès, à faire virer Genestar. Mais Nicolas Sarkozy n’était pas dupe : derrière le « coup » médiatique de Paris Match se profilait l’ombre de celui que Jacques Chirac avait choisi pour lui barrer le chemin de l’Elysée.

Pour rassembler ses partisans, Dominique de Villepin vient de créer une structure animée par l’ancienne secrétaire d’Etat aux DOM-TOM, Brigitte Girardin. Cela s’appelle le Club Villepin, une sorte de rallye du XVIe pour adeptes du TSS (Tout Sauf Sarko). Reste à savoir si les personnes pourvues d’un casier judiciaire pourront rester membres du club…

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Octobre 2009 · N°16

Article extrait du Magazine Causeur



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