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«Clause du grand-père»: l’inquiétant renoncement du gouvernement

Une tribune libre de Benoît Perrin


«Clause du grand-père»: l’inquiétant renoncement du gouvernement
Des syndicalistes bloquent un dépôt de la RATP à Asnières (92), décembre 2019 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Ce sera toujours aux jeunes générations d’éponger les déficits liés au maintien de ce privilège anachronique, dans les prochaines années, dénonce Benoît Perrin, le directeur de «Contribuables Associés», association regroupant 350 000 contribuables en France.


La réforme des retraites a le mérite de prévoir une mesure attendue de longue date par les Français attachés à l’équité et à une gestion saine de nos finances publiques: la disparition des régimes spéciaux pour les agents de la RATP, d’EDF, de la Banque de France, ou encore du CESE.

Cependant, leur enthousiasme doit être rapidement balayé: cette mesure s’accompagne d’une injustice flagrante, en prévoyant la fameuse « clause du grand-père ». À compter du 1er septembre 2023, seuls les nouveaux entrants sur le marché du travail devront intégrer le régime universel de retraite. Les autres, quel que soit leur âge ou leur ancienneté, bénéficieront toujours du calcul spécifique des droits ainsi que de l’âge de départ plus précoce.

Pour le dire simplement, cela revient à repousser d’au moins 40 ans les effets de la réforme. Voire plus: d’après le directeur général de la caisse de retraite des personnels de la RATP, un retraité toujours de ce monde perçoit sa pension depuis… 1952 ! Ainsi, les précieuses économies attendues de cette réforme n’apparaîtront définitivement que dans 70 ou 80 ans, lorsque le dernier ayant droit des régimes spéciaux aura disparu.

À lire aussi, Gabriel Robin: Retraites: la France peut-elle encore se payer le luxe de ce faux débat?

Pourquoi attendre 2066 pour que les agents concernés partent aussi à la retraite à 64 ans – et avec de meilleures pensions en moyenne ? Au nom de quoi un tel privilège est-il maintenu? D’après les syndicats, ces avantages feraient partie du « contrat social » passé entre les agents et leur employeur à la date de leur embauche. « On ne change pas les règles en cours de route » abonde Olivier Véran.

Dès lors, pourquoi est-ce que les règles devraient changer pour tous les salariés, hormis pour quelques privilégiés protégés par leur statut et assurés d’une rente à vie ? Qu’est-ce qui différencie ces agents des autres salariés qui n’avaient certainement pas prévu, au moment de leur embauche, de travailler deux ou quatre ans de plus ? Pourquoi, a minima, ne pas envisager une solution de moyen terme permettant une extinction progressive des régimes spéciaux?

Au-delà de l’évidente injustice de cette mesure, il faut rappeler le coût de cette clause pour les finances publiques. Si l’on veut bien se donner la peine de regarder les chiffres, on se rend bien vite compte des sommes faramineuses payées par l’État – et donc par les contribuables – pour maintenir ces régimes.

Prenons le cas de la SNCF, où la « clause du grand-père » s’applique depuis déjà trois ans. À la suite de la réforme ferroviaire du premier quinquennat Macron, seuls les cheminots recrutés depuis 2020 n’ont plus le droit au régime spécial. Chaque année, l’État verse une subvention d’équilibre au régime spécial de retraite des cheminots, afin de financer les dispositifs de départ anticipés et l’écart démographique entre cotisants et retraités. En 2021, son coût budgétaire était de 3,3 milliards d’euros. En multipliant ce chiffre par les 40 années durant lesquelles les cheminots ne seront pas dans le régime universel, on parvient à un coût de 130 milliards d’euros pour le contribuable!

À ce chiffre, il faut ajouter le montant de la cotisation employeur T2 visant à financer les droits spécifiques de retraite du régime spécial, pour un coût de 600 millions d’euros annuels. Rapportée sur 40 ans, cette dépense supplémentaire revient donc à 24 milliards.

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Ainsi, en évitant l’extinction immédiate du régime spécial des cheminots, l’exécutif avait déjà lesté les finances publiques d’une dépense supplémentaire (et injustifiée) de 154 milliards d’euros [1] – sans même prendre en compte l’inflation!

Le coût de cet injustifiable cadeau est donc facilement calculable. Dans leur vaste majorité, les Français rejettent ce système à deux vitesses. Dès lors, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas le courage politique d’aller jusqu’au bout de sa réforme ? La réponse est simple : ces régimes coûteux et injustes profitent essentiellement à du personnel capable de bloquer les transports ou de couper l’électricité.

À ces concessions inouïes s’ajoute d’ailleurs le maintien pour tous les agents de conditions très favorables. À titre d’exemple, le gouvernement a choisi de ne pas repousser de deux ans l’âge auquel les conducteurs et les agents de sécurité de la RATP peuvent prendre leur retraite à taux plein : 57 ans – soit l’âge d’annulation de la décote [2].

La droite sénatoriale avait prévu de rétablir l’équité entre les Français. Cependant, elle ne sera pas allée au bout de son projet pour éviter l’obstruction de la gauche. Dès lors, le gouvernement et le parlement ont entériné un système qui maintient deux catégories de salariés, au prix d’un coût déraisonnable pour nos finances publiques. La clause du grand-père constitue enfin une profonde fracture intergénérationnelle : dans les décennies à venir, ce sera aux jeunes générations de continuer à éponger les déficits liés au maintien de ce privilège anachronique pour les plus anciens.


[1] Les 130 milliards d’euros de subventions d’équilibre sur 40 ans + les 24 milliards supplémentaires de cotisations employeur T2 à combler NDLR

[2] https://www.usinenouvelle.com/article/la-fin-de-son-regime-special-de-retraite-pose-un-probleme-d-attractivite-a-la-ratp.N2087081

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Directeur général de Contribuables Associés

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