Le livre-phare des vacances 2014 fait à peine 80 pages. Un simple cahier d’images d’une trentaine de photos en noir et blanc que publient les élégantes éditions Contrejour. Ces quelques clichés essentiels proviennent des archives de Graziano Arici (photographe et collectionneur). Dolce Claudia éclairera vos nuits d’été d’une tendre lumière. Il y a dans ce mince recueil toute la beauté irradiante du Sud, la pudeur d’une époque où les filles détenaient les secrets de l’amour. Le parfum enfiévré de la Via Veneto et les pétarades des Vespa chassant en meute. L’ombre de Fellini aussi. Sur ces trente photos, un seul modèle, irrésistible dans la fraîcheur de ses vingt ans, Claudia, la berbère, l’italienne de Tunis, l’unique, la femme multiple. Pourquoi sommes-nous tombés un jour amoureux de l’orientale Cardinale ?
Ouvrez ce livre et vous comprendrez notre enchantement et notre colère devant cette sauvagerie-là ! Le charme est forcément cruel. Terriblement injuste. De son regard sombre, Claudia vous gifle. Ses longs cheveux noirs vous serrent le cœur. Sa bouche insolente vous empêche de respirer. Ses épaules maternelles vous narguent. Inconcevable de réalisme et de tension érotique dans notre société du faux où les physiques en plastique et les âmes en carton encombrent le grand écran. Oui, vous êtes désarmé, vaincu, béat.
Comment lui résister ? Comment ne pas succomber à cette fille lovée dans un pull à grosse maille, le coude posé sur un radiateur, sans apprêt, sans artifice, d’un naturel brut. Peut-être le véritable signe de l’existence de Dieu. Vous pressentez que l’amour avec elle sera un combat perdu d’avance, que vous en ressortirez désemparé et heureux. Ne vous fiez pas à ce doux visage, à cette peau dorée, à ces courbes sensuelles, cette montagne de désir est un roc. Les filles du Sud aux corps souples sont des femmes de tête. Elles ne se dévoilent que dans l’intimité. Elles cherchent l’absolu. Dans sa préface, Claude Nori tente de lever le mystère sur cette séance photo prise à Rome en 1958 qui donne naissance à cet ouvrage délicieux. « Claudia Cardinale […] pose pour un de ces paparazzi d’agences spécialisées dans les magazines populaires dont on ne saura rien si ce n’est le talent qu’il mit à installer cette complicité, ce flirt photographique » écrit-il.
On ferait tous n’importe quoi pour avoir un flirt avec elle. Cet anonyme a saisi la flamme de Claudia, cette candeur douloureuse, cette réserve étincelante et cette sagesse explosive dans un décor d’une banalité affligeante : un canapé écossais, une chaise en bois ou une terrasse sobre. La beauté de Claudia n’a pas besoin de lustre. Elle s’exprime partout. Quand elle apparaît dans le cadre, le spectateur n’a plus d’yeux que pour elle. Comment s’en détacher ? Les Visconti, Leone, Monicelli, Comencini ne s’y sont pas trompés en la choisissant. Car si Claudia est belle à regarder, elle l’est encore plus à entendre. Cette voix qui puise sa source si loin est l’aphrodisiaque le plus puissant que je connaisse. Et ce rire, coup de sirocco qui balaye l’amertume, a des intonations de promesse d’éternité. On voudrait qu’elle ne s’arrête jamais.
Dolce Claudia n’est pas seulement un livre de belles et rares photos, il fascine aussi par sa charge émotionnelle à évoquer le monde d’avant. Les photos de Claudia s’accompagnent d’un Éloge de la starlette joliment troussé par le philosophe balnéaire Frédéric Schiffter qui se rappelle qu’à chaque projection, son amour pour Claudia Cardinale renaissait intact, et d’avouer que « je ne puis la voir autrement que comme une éternelle belle aimée – un idéal féminin qu’on n’approche ni ne possède jamais, bien sûr, mais que ce sentiment si particulier qu’on lui voue préserve de l’oubli et de l’infidélité ». Claudia, le soleil de notre vie.
Dolce Claudia – Archives Graziano Arici – préface de Claude Nori – Éloge de la starlette par Frédéric Schiffter – cahier d’images – Contrejour.
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