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Claude Habib, un féminisme bien tempéré


Claude Habib, un féminisme bien tempéré

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L’indignation n’est pas le fort de Claude Habib. Malaise dans la civilité[1. Malaise dans la civilité, sous la direction de Claude Habib et Philippe Raynaud, Perrin, 2012. (Textes de Alain Besançon, Alain Finkielkraut, Claude Habib, Nathalie Heinich, Philippe d’Iribarne, Philippe de Lara, Hélène Merlin-Kajman, Philippe Raynaud).], louvrage collectif qu’elle a dirigé avec Philippe Raynaud dresse pourtant un tableau bien mélancolique de tout ce que nous avons perdu. Les auteurs s’interrogent sur la survie de la politesse française, qui illuminait jadis le monde, dans un univers multiculturel et démocratique – et la réponse est dans la question. Mais Claude Habib n’est ni colérique, ni pleurnicharde.[access capability= »lire_inedits »]  Baptisons-la Tempérance, surnom qui sent sa Carte du Tendre autant que le XVIIIe siècle, dont elle est d’ailleurs une grande spécialiste. Aujourd’hui professeur de littérature à La Sorbonne-Nouvelle, cette normalienne a été entraînée vers la philosophie par Claude Lefort, puis Pierre Manent et Philippe Raynaud, tout en demeurant, de son propre aveu, à la lisière de cette discipline : « Je ne comprends pas l’ambition de décrire le tout, ou du moins je ne parviens pas à penser ainsi. J’attrape le monde par des détails. »

Ce qui semble lui importer par-dessus ce tout, c’est de bien nommer les choses. Et elle y excelle : douée d’une rare aisance à saisir  le singulier, sa plume est toujours lumineuse, ses termes choisis, ses analyses percutantes. Pour autant, Claude Habib répugne à émettre un jugement sur notre époque, et encore plus à indiquer une direction. Face au déclin visible de la civilité d’antan, elle demeure dans une perplexité de bon aloi.

Dans sa contribution à Malaise dans la civilité – un petit bijou –, elle montre que nous sommes entrés dans l’« ère du Cool ». Cependant, rien ne lui est plus étranger que le déclinisme. Non qu’elle soit dépourvue d’opinions, mais notre Tempérance n’a pas « ouvert boutique » (comme Berl disait de certains qu’« ils ont ouvert boutique d’écrivain »), ni choisi d’occuper le terrain du débat. Vous ne verrez pas sa signature dans la presse, sauf cet automne, auprès de celles d’Élisabeth Badinter, Régine Desforges, Caroline Eliacheff, Élisabeth de Fontenay, Claude Lanzmann, au bas d’une pétition : « L’Abolition de la prostitution est une chimère ». Le projet annoncé par la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, dans la foulée de la proposition de loi du 7 décembre 2011, objet d’un rare consensus entre droite et gauche au Parlement, a fait bondir Claude Habib. Cet abolitionnisme lui paraît non seulement naïf, mais surtout liberticide[2. Pensées sur la prostitution, Belin, 1994.].

Car nous avons bel et bien affaire à une libérale, ce mot honni après avoir été magnifié par l’antitotalitarisme français des années 1970. Paradoxalement, c’est avec Rousseau, auquel elle a consacré son doctorat, que Claude Habib est entrée en modération.  On parlait alors de « science des textes et des documents ». En ces temps où l’auteur était haï et le critique élevé au rang de créateur, « Rousseau était à peu près  le seul écrivain qui permettait de résister  à la sémiologie,  tant sa présence dans son œuvre était impérieuse ».

Antidote à l’esprit du temps, Jean-Jacques fut aussi un redoutable adversaire de son féminisme spontané.  Chez lui, la différence des sexes est une donnée indiscutable, et la coquetterie féminine, native. Dépassant les recommandations réductrices de Rousseau pour l’éducation des jeunes filles (pas trop de culture générale, préparation à la tenue du foyer), Claude Habib analyse dans Le Consentement amoureux[3. Hachette, 1998  « Pluriel », 2002.] le passionnant défi que l’écrivain nous a légué : la différence n’est pas signe d’inégalité. Pour autant, cette formation à rebours de son temps ne l’a pas amenée à un féminisme différentialiste ou hostile. Si elle s’est intéressée à la prostitution, c’est par curiosité pour l’autre sexe, voire par compassion pour des souffrances et des désirs masculins spontanément opaques.

Poursuivant son enquête dans Galanterie française[4. Gallimard, 2006.], elle y explique comment la France, par le biais de la galanterie, a permis l’influence croissante des femmes. Elle y décrit une forme d’exception hexagonale, entre soumission féminine et guerre des sexes de l’autre. Le camp « radical-féministe » ne lui a pas pardonné: l’historienne américaine Joan Scott l’a violemment prise à partie − en déformant ses propos − pendant l’ « affaire DSK ». D’après Scott, ce fameux  « féminisme à la française », dont Claude Habib est, de facto, la représentante (avec Mona Ozouf, Irène Théry et Philippe Raynaud − on peut imaginer pire compagnie), ne serait en réalité qu’une apologie de la soumission féminine au désir masculin[5. Dans son ouvrage De l’utilité du genre, Fayard, 2011, et dans un article d’une rare mauvaise foi « Féminisme à la française », Libération, 9 juin 2011.] . Sur l’autre front, Tariq Ramadan lui a reproché (sur le plateau de Frédéric Taddéï) d’inventer un modèle « totalement construit  de galanterie, exclusif et ignorant de l’apport islamique ».  Sous le feu des attaques, Tempérance reste calme. Tel est le destin des modérés : habitués à être minoritaires, à l’écart des connivences, ils observent et décodent avec flegme les passions du jour.[/access]

*Photo : C. Hélie/Gallimard.

Octobre 2012 . N°52

Article extrait du Magazine Causeur



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Charlotte Liébert-Hellman est éditeur.

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