Une biographie-kouglof d’Antoine de Baecque revisite le grand cinéaste (1930-2010). Plan-plan et un peu lourd, mais les raisins sont très bons.
Une biographie-kouglof d’Antoine de Baecque revisite le grand cinéaste. Plan-plan et un peu lourd, mais les raisins sont très bons.
Spécialiste en biographies d’auteurs majeurs de la Nouvelle Vague, Antoine de Baecque sort cet automne son Chabrol qui fait suite à Eric Rohmer (coécrit avec Noël Herpe, 2014), Godard (2010), et l’inaugural François Truffaut (coécrit avec Serge Toubiana, 1996).
Chabrol est à la tête d’une des filmographies les plus imposantes du cinéma français, et on a déjà beaucoup écrit sur lui, sans compter ses multiples déclarations ou apparitions à la télévision, média qu’il chérissait tout particulièrement.
Une jeunesse française
Le début du livre est le meilleur, sur les premières années, la formation, et mettons, jusqu’au retour de bâton après le succès du « Beau Serge » et des « Cousins ». Les sources irriguent l’écriture, et la lecture plaisante s’émaille d’anecdotes hautes en couleurs, comme cette bringue avec le jeune Jean-Marie Le Pen, compère de la corpo de droit, se finissant par une intoxication généralisée et la mise au vert forcée en sanatorium. Toute la partie sur Mai 68 est également passionnante, on y apprend que Chabrol, jeune trentenaire célèbre et installé, participa à toutes les manifestations, faisant preuve d’un courage physique certain.
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Cette dichotomie des fréquentations – le spectre allant jusqu’aux deux extrêmes – en fait un animal politiquement insaisissable, même s’il s’est toujours déclaré marxiste, ce que l’on voit très bien à la réception de certains films. « Les Bonnes Femmes », l’un de ses plus gros échecs publics dont la première fut une catastrophe avec insultes et bagarres, donne ainsi lieu à un hallali critique ; une journaleuse de Radio-Télévision-Cinéma (l’ancêtre de Télérama) va même jusqu’à faire du film la condition possible à un Holocauste futur. Je cite pour la bonne bouche : « Aujourd’hui, contribuer à développer la passivité du public, miser sur son goût de la destruction, c’est de propos délibéré préparer un nouvel univers concentrationnaire » (où l’on voit que déjà l’Empire du Bien se portait au mieux en 1960).
Le plan du livre est assez fastidieux. Les films sont envisagés dans leur chronologie (sauf « Nada », traité dans la partie sur Mai 68) avec à chaque fois, invariablement, une séquence se découpant comme suit : naissance du sujet, écriture et aléas de la production, résumé du film, tournages avec anecdotes, réception critique, entrée salles en France, et on passe au suivant !
Humour jamais dupe
Chabrol ayant réalisé plus de 50 films et une vingtaine de téléfilms, on voit assez clairement le problème sur 600 pages. D’autant que la plus-value baecquienne est disons minime, et complètement en phase avec notre époque de féminisme atmosphérique. Ainsi de cette phrase que j’isole par pure malignité : « A partir des années 80, le cinéaste, en travaillant avec des actrices très différentes, amplifie considérablement sa palette et construit au coeur de son cinéma une figure féminine puissante. » On aimerait bien voir en quoi les deux meurtrières de « La Cérémonie » sont des « femmes puissantes », ce cliché à la mode. Chabrol déclara un jour qu’il avait eu beaucoup de mal à ne pas faire l’apologie de ses deux héroïnes, mais qu’il n’y avait pas de raison de le faire car c’étaient quand même deux « salopes ».
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L’ambiguïté et les doubles fonds qui regorgent dans son oeuvre n’affleurent donc que très imparfaitement dans cette biographie. Elle est néanmoins très documentée même si le livre n’en fourmille pas moins d’erreurs vénielles. Quelques exemples : le résumé du « Scandale » est erroné ; l’interprétation des « Magiciens » un contresens, sans compter qu’aucune toile de Matisse (confondu avec Magritte) ne figure dans son générique ; il n’y a pas de cinéma Excelsior à Nîmes ; les téléfilms de la série « Histoire Insolites » ne durent pas 20 minutes mais près d’une heure, etc.
Composé élégamment sur le premier tiers, ce Chabrol est compilé à la va-vite sur les deux derniers ; on dirait presque une colle dont aurait écopé un élève dissipé et besogneux. Et parvenu à la triste fin du cinéaste (celui-ci, qui tenait les médecins à distance, mourra en quelques jours d’un cancer généralisé), De Baecque clôture net sa biographie sans conclusion ni envol, comme s’il n’en pouvait plus et voulait vite passer à autre chose. Son soixantième livre peut-être ?
Reste la magie de l’esprit chabrolien, cet humour jamais dupe, irrésistible qui apparaît dans le moindre de ses propos. Réentendre sa voix – il est abondamment cité – est un immense plaisir qui nous console des écueils et des facilités.
Chabrol par Antoine de Baecque (Stock)