Aymeric Patricot, écrivain et professeur de lettres en classes préparatoires, explique à Marin de Viry comment transmettre le savoir aux élèves, à l’heure de la massification scolaire et des « nouvelles pédagogies »
Il est réjouissant d’écouter l’enseignant Aymeric Patricot sur la webtélé REACnROLL!
Selon lui, la prépa continue de « jouer le rôle de l’ascenseur social », alors que la massification scolaire a partout ailleurs affaibli le niveau de notre enseignement. Causeur vous propose de lire un extrait de cet échange diffusé par la webtélé des mécontemporains. Monsieur Patricot y est interrogé par Marin de Viry.
Verbatim
Marin de Viry. Vous enseignez en classe préparatoire, formation élitiste. Vos élèves, sélectionnés, arrivent porteurs des « espérances dynastiques » de leurs familles… Pouvez-vous brosser le contexte social de vos élèves? Et que leur enseigne-t-on? A quoi sert ce qu’on leur enseigne et quel est l’effet de transformation qu’on peut avoir sur eux ?
A lire ensuite : Qui es-tu pour avoir un avis, crapule?
Aymeric Patricot. La prépa a souvent mauvaise presse. Dans la presse (justement!), on entend régulièrement que la prépa est très élitiste et ne fait que reproduire les élites bourgeoises. Je pense que la prépa est un système à deux vitesses. A Paris, effectivement, les prépas et les grandes écoles sélectionnent beaucoup les élèves sur des critères sociaux, parfois malgré elles. Mais en province, c’est un recrutement social, notamment pour notre prépa dite de « milieu de tableau », c’est-à-dire qui n’est ni la meilleure, ni la moins bonne. En effet, on a une proportion très importante de boursiers, donc même si c’est une formation élitiste, j’estime que, dans mon travail, je fais fonctionner l’ascenseur social. Je vois vraiment des élèves qui sont là car les professeurs les ont orientés vers cette filière en leur disant qu’ils peuvent bien travailler et que, même si leurs parents sont ouvriers, ils peuvent y arriver. Je pense qu’il y a entre 20 et 40% d’élèves – cela dépend des années – dont les parents sont ouvriers ou au chômage. Ils sont tout autant capables de travailler. Par conséquent, la prépa, contrairement à ce qu’on dit, joue en partie le rôle de l’ascenseur social.
Retrouvez Marin de Viry et Aymeric Patricot sur REACnROLL !
Marin de Viry. Il y a donc des boursiers qui viennent des milieux populaires: accèdent-ils pour autant à de grandes écoles qui leur permettent de s’élever socialement?
Aymeric Patricot. Alors, c’est vrai que nos prépas moyennes placent assez peu d’élèves dans le top 3… Mais, malgré tout, tous les élèves trouvent une école. Même si on ne sort pas du top 3 ou du top 5, la plupart des écoles offrent le même enseignement de qualité. Les élèves trouvent tous du travail à un bon niveau. Ils deviennent tous cadres. Je suis peut-être le seul à penser ça, mais j’estime que oui, ces enfants d’ouvriers grimpent socialement. Beaucoup m’ont dit : « mon père travaille à la chaîne, et si je suis aujourd’hui avec vous en prépa, c’est justement pour ne pas y travailler ». C’est aussi clair que ça.
C’est un système élitiste dans le sens où on fait travailler les élèves.
Marin de Viry. Y aurait-il un échec de l’ascenseur social des prépas les moins bonnes ?
Aymeric Patricot. Je pense que toutes les prépas sont bonnes… S’il y a un échec, c’est sans doute dans certains collèges où les conditions de l’enseignement ne sont plus du tout possibles, ou dans certains lycées. Mais la prépa, c’est globalement un système qui marche. Peillon s’est assez brutalement opposé aux prépas, mais il n’a pas réussi à changer le système. Système qui, d’ailleurs, est admiré par la Chine. De nombreux pays nous envient. Mais c’est vrai que c’est un peu un système « à l’ancienne », élitiste dans le sens où on fait travailler les élèves. Ils bossent.
(…)
Marin de Viry. Pour transmettre la flamme, faut-il être regardé par son auditoire, ou alors faut-il interagir avec ? (…) Faut-il une mise en scène du professeur magistral ou, au contraire, un professeur qui descend de sa chaire et tourne autour de ses élèves pour leur poser des questions? Cette ligne de partage a-t-elle un sens? Dans quelles proportions cette problématique se pose-t-elle et comment?
Aymeric Patricot. Un des paradoxes de notre époque, c’est que quand on lit les ouvrages des nouvelles pédagogies, on retrouve l’idée que le cours magistral est mauvais en soi, car il faut apprendre à l’élève à apprendre et ne pas lui imposer quelque chose de trop vertical. Seulement, les fois où je me suis moi-même débarrassé du cours magistral, ça n’a pas fonctionné. (…) Les élèves attendaient qu’à un moment ou un autre le professeur prenne la parole en tant que professeur et apporte une dose de contenu « pur ».
Marin de Viry. Pourquoi alors y aurait-il une critique du professeur « magistral », et quelle est cette critique ?
Aymeric Patricot. Cette critique a été très vive dans les années 80 et 90, et même en 2000, où il y avait un vrai conflit entre « les nouveaux pédagogues » dont Philippe Meirieu est le pape, et un nouveau camp qui s’est dessiné: « les républicains ». Pour les nouveaux pédagogues, le cours magistral était « mal », alors les républicains pensaient qu’il y avait du bon.
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Marin de Viry. Mais pourquoi, justement ?
Aymeric Patricot. Et bien, les nouveaux pédagogues s’inspirent de choses qui datent depuis deux siècles ou plus, comme avec Rousseau ou Montaigne. Il y a une sorte d’idée comme quoi il existe un âge de l’enfance; il ne faut absolument pas que l’adulte lui impose un savoir un peu rigide, un peu « facho » comme dirait Barthes. Il faut prendre en compte la différence de l’enfance, la connaissance vient avec le plaisir. Les nouveaux pédagogues des années 80/90 ont récupéré toutes ces pédagogies pour les réactualiser, et cette problématique s’est articulée avec la massification scolaire. En fait, on est arrivé au bout d’un processus où 80% des élèves doivent parvenir au bac.
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