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Clara versus Ingrid


Clara versus Ingrid

Malaise : tout va de plus en plus vite ! Hier encore, au lendemain de sa libération (juillet 2008), Ingrid Betancourt était un modèle pour la Colombie, la France et le genre humain dans son ensemble. Neuf mois passent, et voilà qu’une demi-douzaine de livres – la plupart traduits en français – nous présentent la même sous un jour beaucoup plus sombre, si j’ose dire. Alors où est la vérité ? Ingrid, sainte laïque ou grande bourgeoise arrogante, égoïste et lâche ?

Parmi ces livres, le plus médiatisé est sans conteste Captive de Clara Rojas (Plon). L’ancienne collaboratrice de Mme Betancourt y donne sa version des six années de captivité qu’elles ont subies ensemble… Ou plutôt séparément. Car ce qui passionne les médias, bien plus que les conditions inhumaines de leur détention par les FARC, c’est la brouille survenue devant cet épreuve entre les deux otages, autrefois amies inséparables.

Pour en savoir plus, j’ai regardé vendredi dernier « Café littéraire » (France2, 22h55), l’émission du toujours crispant Daniel Picouly. Le bonhomme, sorte de croisement d’Ardisson et de Paul Amar, recevait Clara Rojas elle-même ! Trop heureux de nous offrir cette « exclusivité en primeur » (sic), il va donner à l’événement la solennité qui s’impose : une heure en plateau seul à seule avec son invitée d’honneur, qui peut s’exprimer en toute liberté, c’est-à-dire sans avoir à souffrir la moindre contradiction. Les « questions » de Picouly sont autant de révérencieuses relances – un peu comme dans ces émissions de campagne électorale officielle « à l’ancienne » où les politiciens utilisent de vrais-faux journalistes comme faire-valoir.

Sans surprise excessive, il résulte de cet exercice un autoportrait en gloire. On y découvrait peu à peu la force de caractère de Clara dans l’adversité ; sa capacité de résistance face aux humiliations, aux angoisses et à la tentation du désespoir ; son recours enfin à la foi grâce à une lecture intensive de la Bible… Bref, une deuxième sainte Ingrid ! A ceci près que la première ne méritait guère sa canonisation hâtive, apprend-on au fil de ce récit pieusement scandé par le Picouly. Eh oui ! Sans jamais le dire, la pudique Clara nous décrit par petites touches, une Ingrid tour à tour fragile, froussarde, nombriliste, méprisante et sans cœur…

Et pourtant, Mme Rojas ne lui en veut pas ! « Vous laissez ouvertes toutes les portes du pardon ! », affirme Daniel en guise de question finale. La réponse de l’intéressée est instructive quand même : « Le pardon doit être général », lance-t-elle citant même ses geôliers des FARC – mais pas Mme Betancourt… « Vous ne lui en voulez même pas de ne pas vous avoir serré la main lors de vos retrouvailles ? », relance le Picouly, décidément très rentre-dedans. Hélas, à cette difficile question il n’obtiendra pour toute réponse qu’un bon sourire censé en dire long…

J’en savais trop, ou pas assez ! Parce qu’enfin, tout au long de cette heure, Mme Rojas n’avait pas démenti les témoignages antérieurs concernant les qualités humaines manifestées pendant ces six années par son ex-amie. Son souci du service des autres, allant jusqu’à organiser pour ses co-détenus des cours de français et de caté ; son intransigeance vis-à-vis des geôliers – attestée par un courriel où ceux-ci se plaignent à leurs chefs de cette otage insupportable… Ce refus de pactiser avec l’ennemi, suggéraient perfidement les « ingridistes » maintenus, ne s’opposait-il pas au comportement plus ambigu de Clara, qui avait quand même été assez intime avec les guérilleros au point d’avoir un enfant de l’un d’eux ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai donc regardé dès le lendemain soir « On n’est pas couché » (France 2, 22h55). Même chaîne, même heure, même invitée-vedette, mais traitement différent ! Après le ronron complaisant de Picouly, le double interrogatoire serré des flics Zemmour et Naulleau tranchait agréablement.

Premier à braquer sa lampe sur Clara, Eric Naulleau n’y va pas par quatre chemins. Après s’être dit « admiratif », il enchaîne aussi sec : « On ne peut s’empêcher de se poser quelques questions… » Dès la première, ce diable parvient à faire dire à Mme Rojas ce qui est sans doute la véritable origine de son ressentiment à l’égard de Mme Betancourt. Elle avait joint à la première lettre de celle-ci un mot pour ses parents – que la famille d’Ingrid n’a pas jugé bon de transmettre ! « Ils voulaient qu’elle soit seule au-devant de la scène ! », s’indigne à juste titre Clara; à cause de cette cruelle mesquinerie, ses parents resteront plusieurs semaines dans l’incertitude totale quant à son sort…

Brusque changement de ton avec la deuxième question – qui ressemble à s’y méprendre à une accusation : « Vous manifestez dans votre livre une conception de l’intimité un peu curieuse », balance-t-il à Mme Rojas. En gros, elle respecte la sienne (notamment concernant ce guérillero dont elle aura un fils). Mais elle viole sans état d’âme apparent celle d’Ingrid, consignant scrupuleusement tous ses moments de faiblesse en six ans de détention…

Face à cette charge, Clara se réfugie derrière une phrase-type que, dès lors, elle brandira comme un bouclier face à chaque question délicate : « Je ne fais que relater des faits ! » Cette réplique tous terrains, l’ex-otage en aura bien besoin lorsqu’elle sera livrée à Zemmour, telle Blandine aux lions. Cet Eric-là ne s’embarrasse pas plus que l’autre de circonlocutions. Après une demi-phrase obligée sur sa « compassion », il précise d’emblée que « certaines choses (le) mettent mal à l’aise »…

Premier malaise zemmourien : la floraison printanière de livres sur l’affaire (plutôt anti-Ingrid cette saison) : « Les éditeurs nous vendent Desperate Housewives dans la jungle ! », ose ce sapajou. Et d’enchaîner sur son deuxième malaise, concernant lui directement l’ouvrage de dame Rojas : « À vous lire, on dirait que les vrais salauds sont vos compagnons d’infortune et non pas les geôliers (…) plutôt présentés comme des G.O du Club Med ! » Mais là, Clara a sa réponse toute prête : elle ne fait, savez-vous, que raconter des faits !

C’est Naulleau, plus retors dans l’inquisition compassionnelle, qui fera sortir à nouveau l’invitée du bois, et de la langue du même métal. Question faussement ingénue : « Une expérience aussi extrême, est-ce que ça détruit les personnalités ou est-ce que ça les révèle ? » Réponse en deux temps mais un seul mouvement : ça dépend des personnalités !

« J’ai découvert en moi des ressources inconnues. Je ne pensais pas, malgré mes faiblesses, être aussi forte ! » Quant à Ingrid, eh bien « c’est une femme de chair et de sang, avec ses qualités et ses défauts ». On aurait aussi bien pu dire l’inverse ! Si donc ces deux phrases ont un sens, c’est : «on m’a sous-estimée en surévaluant l’autre ; je vaux au moins autant qu’elle ! » Peut-être bien, ma foi… Prochain round annoncé pour le printemps 2010 avec une autobiographie de Mme Betancourt dont l’éditeur Gallimard, croit déjà savoir qu’elle se situera « au-delà des polémiques ».

Peut-être bien, ma foi… N’empêche ! Toute cette affaire laisse un goût amer, au-delà même des personnes en cause. De cette « expérience extrême », comme dit Naulleau, personne ne sort indemne. Au nom de quoi juger des êtres humains soumis pendant si longtemps à des traitements aussi inhumains, voire réduits à l’état d’animaux ? Qui peut dire : j’aurais mieux fait qu’untel à sa place ? Qui sait s’il aurait vaincu le fameux « syndrome de Stockholm », et à quel prix ?

Bref on sort de ce cauchemar en doutant encore un peu plus de soi et de tout ! Comme si on avait vraiment besoin de ça, en ces temps de relativisme absolu…



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