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Clara Bow, la star et l’éclipse


Clara Bow, la star et l’éclipse
Clara Bow, 1927. SIPA. 51415404_000006
Clara Bow, 1927. SIPA. 51415404_000006

Jusqu’aux années 30 environ le monde était en noir et blanc et les humains ne savaient pas parler. Ils faisaient des mouvements avec leurs lèvres, mais aucun son ne sortait jamais de leurs bouches. Pour se comprendre ils faisaient de grands gestes, sautillaient, roulaient des yeux et s’envoyaient des signaux de fumées. On comprend parfaitement tout cela en voyant ce qu’il reste du cinéma muet. Ensuite, vous en conviendrez, ça s’est gâté : le monde s’est colorisé, l’humain a accédé à la parole, puis a inventé le réfrigérateur, le missile intercontinental, l’œuf en tube et la télévision. Voilà où nous en sommes pour dire vrai. C’est pour cela qu’il est urgent d’en revenir aux temps glorieux des pionniers du muet. Le récit poétique de la vie d’une star hollywoodienne des origines, Clara Bow, nous y invite : Le sourire de Gary Cooper de Sophie Pujas !

Une star bercée par le septième art

Clara Bow naît au début du siècle dernier, alors que le cinéma n’est encore qu’une attraction foraine, une curiosité, pas même une industrie. Son enfance est marquée par les drames. La jeune fille trouve vite un dérivatif, un refuge, un lieu d’évasion : la salle obscure. « Le septième art est un enfant du cirque et des foires aux monstres. Là, les âmes perdues troquent pour une heure leur vie miteuse pour des destins d’emprunts. Ils cèdent à la tentation puissante de n’être plus qu’un regard, que l’attente d’un frisson », écrit l’auteur. Tous les enfants cherchent à traverser l’écran, et Clara franchit le pas. Pourtant elle part avec des handicaps, d’abord elle est bègue (mais le cinéma est muet ! – ouf !), ensuite elle n’a aucune expérience et assez peu d’allure. Elle candidate à une sorte de concours censé lui ouvrir les portes des studios ; face à elle : des hordes de jeunes-filles rompues aux castings. Son naturel fait la différence : elle est l’élue. Cela commence comme un conte de fée, mais attention, l’histoire n’est pas terminée. Son charme, Sophie Pujas le décrit en ces termes : « Elle est insatiable, imprévisible et mouvante, ce sera l’une des clés de sa séduction. ». A 17 ans, banco, elle commence donc sa conquête d’Hollywood sous la férule du producteur B. P. Schulberg. Elle tournera dans plus d’une cinquantaine de films muets – deviendra l’une des premières « stars » du cinéma mondial, et aussi une icône pour qui la presse a trouvé la définition indéfinissable de « It girl ».

Ouvrons une parenthèse. Le muet est un continent perdu, dont il ne subsiste que très peu de vestiges. Sur les 11.000 films muets réalisés entre 1912 et 1929 aux USA, seuls 14% sont parvenus intacts jusqu’à nous. Nous avons perdu des Hitchcock, les premiers John Ford, bien des films de Clara et tant d’autres témoignages sur la naissance d’un langage. L’enfance du 7ème art est une terre de pionniers qui prête donc à l’imagination et au fantasme. La plupart des films de cette préhistoire étant peu documentés (par des photos de plateau ou des témoignages) certaines œuvres perdues prennent des dimensions mythologiques obsédantes pour les cinéphiles – à l’instar des œuvres perdues de l’antiquité pour les amateurs de vieilles mécaniques. Et le livre de Sophie Pujas nourrit avec profit cette nostalgie esthète.


Clara Bow in « Wings » 1927 par scarlettared

La romance d’un sulfure muet

Les films de Clara ? Il y en a eu beaucoup. Los Angeles est peut-être la ville des anges, mais Hollywood est une mine de sel, où les producteurs donnent du fouet. Elle tourne cependant avec le grand Lubitsch, avec l’une des premières femmes cinéaste Dorothy Arzner, avec Josef von Sternberg, mais aussi avec bon nombre de réalisateurs qui n’ont pas laissé leur nom dans l’Histoire – mais imprimé sur la pellicule quelques films cocasses, parfois touchants, que Sophie Pujas regarde avec nous avec humour et tendresse. Partout Clara irradie d’un style de jeu libre et espiègle, engagé, jusque dans le plus indigent navet (Hollywood en cultivait déjà des champs colossaux…et l’histoire ne faisait que commencer). Les scandales de Clara ? Il y en a eu beaucoup. Gouailleuse, garçonne, indépendante, parfois provocatrice, elle laisse sur son chemin un sillage de sulfure – que la toute jeune presse people suit sans relâche. Elle est franche, un peu naïve, parle à tous les journalistes, tombe dans tous les pièges. On a furieusement envie de la protéger. Et, bien entendu, de rester muet. Les hommes de Clara ? Il y en aura un certain nombre. Parmi les plus notables le metteur en scène Victor Fleming, et un certain Gary Cooper, jeune cow-boy promis à un avenir cinématographique radieux – et parlant ! Le parlant ? Clara ne s’en relèvera pas, comme beaucoup d’acteurs du muet. Elle avait évidemment trop à dire. Elle finira sagement retirée au Nevada dans le ranch de son gentil mari. Mère de famille.

Les images ? C’est l’une des forces du livre de Sophie Pujas. On y croise la ménagerie extravagante du producteur William Hearst que Clara est amenée à visiter, le palace disparu « Au jardin d’Allah » avec sa piscine en forme de mer noire sur les hauteurs d’Hollywood où l’actrice menait sa vie impétueuse, et cet exemplaire de Mein Kampf que le Führer dédicacera à la star en 1932 ! (Elle réagira sobrement : « Madness !») Le sourire de Gary Cooper doit se voir comme un long poème en prose, entrelardé d’aphorismes brillants, qui est une sorte de déclaration d’amour de l’auteur à la femme libre et pionnière qu’était Clara. On trouve déjà d’autres bustes dans le panthéon livresque de Sophie Pujas. Il y a notamment le peintre Zoran Mušič, nous en avions déjà parlé. Et Paris, qui est bien entendu un personnage à part entière. Mais qui donnera, maintenant, une existence cinématographique à ce livre ? Car la vie de Clara Bow ayant tout d’un film, son destin est d’en revenir au cinéma. On plaint par avance la jeune actrice qui devra l’incarner. Bonne chance future It girl ! Et gare à Gary !

Sophie Pujas, Le sourire de Gary Cooper, Gallimard, collection L’Arpenteur, 2017.

Le sourire de Gary Cooper

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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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