Ils étaient barbus, avec une mise légèrement démodée. On a peu remarqué ces deux journalistes allemands parmi les 600 qui s’étaient fait accréditer pour la conférence de presse du président Hollande, le 14 janvier 2014. On a sans doute eu tort car ils ont assez bien analysé ensuite, dans un long papier écrit à quatre mains et intitulé curieusement Manifeste du Parti communiste, ce qui s’est joué quand le Président annonça son « pacte de responsabilité ». Le Président avait été élu sous l’étiquette socialiste, mais l’était-il encore, justement, socialiste ? Tout le monde en doutait, sauf nos deux Allemands issus de la « gauche de la gauche », comme on dit aujourd’hui. Pour eux, ce président était socialiste, pleinement socialiste, car le socialiste représente « une partie de la bourgeoisie qui cherche à porter remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise ». Alors que la presse cherchait à lui faire avouer qu’il était « social-démocrate », nos deux compères commentaient ces arguties en remarquant que « le socialisme bourgeois n’atteint son expression adéquate que lorsqu’il devient une simple figure de rhétorique ».
Mais ils ne se sont pas arrêtés là dans l’exégèse des propos présidentiels. Écoutant attentivement le chef de l’État souhaiter que le « pacte de responsabilité » soit « équilibré » et que la finance soit « contributive », ils en ont déduit que « ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’État ». Et, quand le Président a conclu, un brin messianique : « Une politique de gauche, c’est une politique qui permet d’avoir un espoir en l’avenir », nos deux Allemands ont laissé percer un léger mauvais esprit : « La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait. »
Un vrai socialiste sait bien que, si les pauvres n’aiment pas les riches, c’est uniquement par ressenti- ment. Karl Marx et Friedrich Engels ont quand même bu un coup avant de quitter l’Élysée.
*Photo : Jon Santa Cruz / Rex Fe/REX/SIPA. REX40115709_000044.
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