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De la misère en milieu enseignant

Claire Gourlaouen publie "Je suif prof"


De la misère en milieu enseignant
Claire Gourlaouen D.R.

Claire Gourlaouen, jeune enseignante de français et d’histoire en lycée professionnel et candidate à Concarneau aux législatives en juin, a sorti un petit brûlot qui fera peut-être bondir sa hiérarchie.


Dans Les mains sales, Jean-Paul Sartre fait dire ceci à un personnage : « Ce sont les enfants sages, Madame, qui font les révolutionnaires les plus terribles. Ils ne disent rien, ils ne se cachent pas sous la table, ils ne mangent qu’un bonbon à la fois, mais plus tard ils le font payer cher à la société. Méfiez-vous des enfants sages ! ».

Une enfant sage

Air de prof de droite un peu stricte, chemises blanches impeccables à peine compensées par des chaussures à paillettes un peu fantaisistes, Claire Gourlaouen a tout de l’ancienne enfant sage. Il y a quelques semaines, elle m’a envoyé son livre, #Jesuisprof, ouvrage autoédité. Le style est parfois oral, un peu prosaïque, Claire Gourlaouen apostrophe son lecteur en le tutoyant. Elle a un peu trop mis les mains dans le cambouis de l’Education nationale pour multiplier prétéritions et circonvolutions. Dans son livre de 215 pages, elle y dépeint les dysfonctionnements d’une institution qui ne marche plus et la dégradation des conditions des enseignants, visible à l’œil nu, mois après mois, années après années. On ne sait pas si elle fera partie des révolutionnaires les plus terribles mais elle a décidé d’embêter son ministre de tutelle, Jean-Michel Blanquer (qui restera dans l’histoire comme le ministre sous lequel un enseignant s’est fait décapiter en pleine rue). Elle sera par ailleurs candidate en juin prochain aux législatives, sous la bannière Les Républicains, dans son Sud-Finistère natal.

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Entrée il y a huit ans dans la carrière, elle a fréquenté douze collèges et lycées d’Île-de-France, de remplacements en remplacements, dans le public comme dans le privé, des écoles primaires dans les beaux quartiers aux établissements les plus coupe-gorge, avant de réussir le CAPLP (le CAPES des lycées professionnels) et de rentrer en Bretagne. En huit ans, elle a assisté, dans l’espace et dans le temps, à la montée spectaculaire de la violence et à l’effondrement du niveau des élèves. La montée de la violence dans l’espace, c’est quand le monsieur du rectorat vient vous voir un jour et vous dit : « On voit aujourd’hui dans Paris des comportements qu’on constatait uniquement dans le 93 il y a dix ans ». L’effondrement dans le temps du niveau scolaire, c’est quand les élèves de terminale de milieu plutôt aisé vous font regretter le niveau des élèves de cités d’il y a cinq ou six ans…

Une hiérarchie qui ne soutient pas les profs

Entre des élèves remuants et une hiérarchie pas toujours à l’écoute de son petit personnel, la source de pénibilité la plus forte pour le corps enseignant ne vient pas forcément de là où l’on croit. Claire Gourlaouen nous dépeint une hierarchie qui pousse le corps enseignant à faire des petits compromis (et compromissions…) tous les jours pour s’acheter une paix sociale fragile. Elle nous dépeint un proviseur sexagénaire, Monsieur Martin (nom modifié par l’enseignante), qui n’avait semble-t-il jamais enseigné de sa vie mais qui s’était retrouvé là grâce à un passage dans un cabinet ministériel. Ancien proviseur d’un lycée qui avait brûlé, il avait poussé loin le concept du « surtout pas de vagues ». Il essaie à un moment de décourager l’enseignante de mettre un zéro sur vingt à un élève : « Vous ne pouvez pas, Madame Gourlaouen, vous placer en dehors du droit ». À force de ruse et d’entêtement, notre Bretonne parvient à imposer sa bulle dans le bulletin.

Le petit-fils de Guillaume Seznec, quand il cherchait à réhabiliter son grand-père, disait : « Quand la tête d’un Breton frappe un menhir, c’est le granit qui se fend ». En breton, Gourlaouen veut dire « homme joyeux ».

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C’est tout un folklore du quotidien que nous présente Claire Gourlaouen. On croise dans son livre une enseignante qui fait sortir ses élèves pour aller faire un ping-pong quand la gestion de classe n’est plus possible, ou un professeur maghrébin qui plaque un élève contre un mur ou le coince dans les toilettes. On sait, grâce à Marianne qui avait publié un entretien édifiant d’Ernest Chénière, principal de Creil lors de l’affaire des élèves voilées en 1989, que quelques notions de karaté et la maîtrise de la clé de bras ne sont pas forcément un luxe dans les établissements scolaires français. Pas spécialement inquiet des conséquences, le professeur maghrébin rétorque au père et au frère du jeune qu’il pourrait toujours retourner au bled en cas de plainte, où la vie de toute façon est moins chère. On repense alors à Myriam, la maîtresse juive du narrateur dans Soumission de Michel Houellebecq, qui finit par s’installer à Tel-Aviv, quand les choses commencent à tourner mal dans le pays, et qui pousse le narrateur à se dire : « il n’y a pas d’Israël pour moi ». Pour Claire Gourlaouen, il y a quand même eu la Bretagne…

Effondrement du niveau en français

Ancienne élève moyenne, à l’aise dans les matières littéraires mais insensible au charme des courbes qui tendent vers l’infini sans jamais l’atteindre tout à fait (l’infini, c’est long, surtout vers la fin), Claire Gourlaouen estime qu’une bonne partie des difficultés des élèves vient de leur manque de maîtrise du français, tous milieux, toutes origines confondus. Pas de mystère : dès le primaire, le nombre d’heures consacré au français n’a cessé de diminuer. Durant mon très court passage dans l’éducation nationale, j’ai le souvenir d’élèves extrêmement curieux, très renseignés sur l’actualité, presque auto-formés sur Internet, mais qui pouvaient conclure un nom commun au pluriel en « -ent » parce que « -ent, c’est la marque du pluriel ».

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À la fin de son essai, l’auteure propose un petit programme, qui sortirait les parents d’élèves des organes de décision d’école et qui réhabiliterait l’écrit, de la dissertation à la dictée en passant par les paragraphes argumentés. Des propositions qui vont sans doute un peu trop loin.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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