Sexe, alcool et réseaux sociaux


Sexe, alcool et réseaux sociaux

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Après plusieurs mois d’immersion à la brigade des mineurs de Paris, Claire Berest livre avec Enfants perdus une enquête explosive sur la jeunesse française. Victimes au statut incertain ou auteurs de crimes, les jeunes nés à l’ère numérique soignent leur identité virtuelle, vivent la sexualité sur le mode porno et citent Nabilla en ultime référence. Bienvenue dans le monde à venir…

Causeur. Pourquoi ne pas parler de « génération Nabilla » plutôt que de « digital natives » ? En dehors de l’engouement pour les réseaux sociaux, les ados français nés dans les années 1990 ne semblent partager avec les Américains ou les Britanniques de leur âge aucune référence commune et ignorent jusqu’à l’existence de Brad Pitt…

 Claire Berest. Au cours de mon enquête, je me suis effectivement demandé si je n’étais pas en train d’étudier un phénomène français. Seulement le rapport très spécifique au corps, les cas de harcèlement sexuel de mineurs par des mineurs, ou de suicides de très jeunes filles conspuées sur les réseaux sociaux sont autant d’éléments communs du quotidien des adolescents des deux côtés de l’Atlantique. Ce qui rassemble les jeunes d’aujourd’hui est à la fois diffus et d’une ampleur inimaginable. Nous avons affaire à des jeunes qui sont nés « avec » ou, en quelque sorte, « dans » Internet. Ils ne connaissent pas le monde sans smartphones et sans boîtes mails. La frontière entre le réel et le virtuel, qui paraît évidente à la génération des trentenaires, s’avère très floue pour les ados. Et bien souvent, c’est leur image projetée sur Internet qui prévaut. Les cas de gamines prêtes à faire une fellation à des garçons pour récupérer un portable volé est dans ce sens évocateur.[access capability= »lire_inedits »]

 La rupture générationnelle, dites-vous, passe par la façon de considérer et de vivre la sexualité, le rapport à la féminité aussi …

 Absolument. Les idées féministes sont en net recul chez les jeunes tandis que la misogynie progresse. Les jeunes filles, plus spécifiquement issues des milieux défavorisées, se montrent de plus en plus soumises aux désirs potentiels et aux fantasmes de la gent masculine. Cela se manifeste d’ailleurs de manière très dichotomique. D’un côté, il y a celles qui cèdent aux garçons pour aussitôt se retrouver étiquetées comme « putes » ; de l’autre, celles qui se coupent complètement de leurs camarades masculins, considérés comme autant de dangers. Les codes des cités, avec notamment la valorisation de la virginité, semblent primer sur les normes sociales communément admises. La régression dans les comportements des deux sexes semble évidente par rapport à la génération précédente. Y compris dans les beaux quartiers où elle emprunte d’autres formes, mais qui ne sont pas moins violentes: la sexualité débridée, la reproduction dans le réel des images pornographiques, les premiers rapports sexuels des filles filmés, souvent avec plusieurs personnes dans la pièce… Si ces jeunes essaient encore de contrôler quoi que ce soit, se sont les images de leurs actes mises en ligne ou sur les réseaux sociaux. Et partout, dans tous les milieux, le corps des jeunes filles est totalement dévalorisé.

Qu’en est-il des dits « miols », ces viols bancals, commis sur des filles dont il est difficile d’établir le statut de victime ?

 Le phénomène se propage sans distinction de classes sociales. Il concerne aussi bien les jeunes filles qui zonent autour de la gare du Nord pour finir par suivre un homme et lui céder, que les gamines alcoolisées du 7e arrondissement, qui passent entre les mains de plusieurs garçons. Toutes ces filles posent le problème de déterminer si elles étaient consentantes ou non. Elles ne le savent pas. Pour les garçons, ce n’est pas plus facile… En l’absence d’un refus décidé, ils n’ont pas le sentiment d’avoir fait quelque chose de mal. Il arrive même que les jeunes filles soient d’accord au moment des faits et pas du tout d’accord après avoir visionné les images qui les représentent et qu’elles découvrent sur les réseaux sociaux. C’est là qu’elles n’assument pas et se sentent abusées. Les « miols » deviennent des plus en plus fréquents et concernent désormais des enfants de 10 ou 12 ans.

Que nous disent ces dérives des jeunes de notre société ?  Quelle image de nous-mêmes, adultes, nous envoient-elles ?

Les ados nous échappent. Trop de changements, pas assez de recul… Les éducateurs et les professeurs disposent de fenêtres à travers lesquelles ils les voient, mais il est très difficile de tirer des conclusions à partir d’observations faites au jour le jour. Moi même, prof à 25 ans, j’ai eu la sensation d’être dépassée, je ne comprenais pas mes élèves alors que l’écart d’âge entre nous était relativement restreint. D’où mon intérêt pour la brigade des mineurs : par la nature de leur travail, ces policiers sont obligés d’entrer dans l’intimité des adolescents. Et, sans en être toujours conscients, ils touchent, à mon sens, au cœur du problème, qui est que, comme me l’a confié l’un d’eux, via Internet, les enfants ont accès sans filtre au monde des adultes. Or, tous les ados, de toutes les générations, imitent le comportement des adultes puisque c’est comme ça qu’on grandit, par mimesis. Il se trouve que les sites les plus rentables aujourd’hui sont les sites pornographiques. En entamant leur vie sexuelle, les ados passent par le porno trouvé sur Internet. D’autre part, face au dépassement des limites, les pédopsychiatres ou les sociologues adoptent une posture surprenante : « C’est fabuleux ! Internet aide à acquérir l’autonomie. Il faut faire confiance aux jeunes. » Reste que nous tous qui sommes nés avant l’ère numérique, avons une méfiance instinctive vis-à-vis d’Internet. Ce n’est pas le cas des ados qui sont dans l’immédiateté et dans l’utilisation compulsive et irréfléchie  de cet outil. [/access]

*Photo: JAUBERT/SIPA. 00499360_000011

Mai 2014 #13

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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