Gilles Sebhan a écrit sur Jean Genet et surtout Tony Duvert, écrivain célèbre dans les années 1970, qui avait fait de la pédophilie son thème de prédilection et qui, bien que publié par les éditions de Minuit, est mort dans la solitude et voit son œuvre, de fait, proprement oubliée, gommée, assurant la victoire désormais totale de la morale sur la littérature.
De la poésie avec du foutre séché
Autant dire que si la meute ne s’est pas encore jetée sur Gilles Sebhan, c’est sans doute par distraction. Il vient d’écrire un polar, ce qui pourrait surprendre. Pourtant, son Retour à Duvert, déjà au Dilettante, ressemble déjà à une enquête mais pas policière, surtout pas. Il ne s’agissait pas de juger, mais de comprendre. Sebhan est également l’auteur de Salamandre, toujours au Dilettante, qui raconte une histoire de meurtre sordide dans les cabines d’un cinéma porno gay. C’est assez hardcore, mais écrit impeccablement, somptueusement même. Comme chez Duvert. Sebhan y fait de la poésie pure avec du foutre séché et la grâce jaillit de l’abjection de manière très paulinienne : « Là où le pêché abonde, la Grâce surabonde. » Nous, on n’avait pas lu ça depuis Pierre Guyotat et son Tombeau pour cinq cent mille soldats.
Il est assez logique, donc, que Sebhan aggrave son cas en sortant ce Cirque mort (éditions du Rouergue), un roman noir de plein exercice. Un exercice pris au sérieux, pas pour faire un coup, être à la mode, mais par respect et foi dans le genre et ses possibilités subversives. Il n’y a pas plus respectueux, finalement, que les profanateurs.
Deux corps d’enfants avec des morceaux d’animaux greffés
Cirque mort parle de la disparition d’adolescents psychotiques après le massacre des animaux d’un cirque, massacre suivi de l’enquête d’un flic, Dapper, dont le fils fait partie des disparus. On est dans une ville de montagne, quand le dégel arrive, que le printemps maladif chasse l’hiver serein. On découvre alors deux corps d’enfants, avec des morceaux d’animaux greffés. Théo n’en fait pas partie. L’enquête de Dapper, flic mutique, fier de sa normalité, et père désespéré, tourne vite pour l’essentiel autour du centre qui hébergeait ces ados psychotiques, dirigé par le docteur Tristan, vieux médecin hanté par l’inversion des valeurs admises en matière de psychiatrie : « Pour Tristan, c’était une métaphore parfaite de l’hypocrisie sociale, un centre qu’on aurait transformé en maison de rétention, un lieu où les malades seraient devenus coupables ; la maison de correction, telle qu’elle avait été inventée par des âmes éminemment perverses et humanistes, ces deux mots qu’on avait peine à accoler et pour cause : leur association révélait la grande manipulation des partisans du progrès qui depuis la fin du XIXème siècle, prétendaient soigner l’homme et le protéger de lui-même en l’enfermant. Une camisole de fleurs, pensa Tristan. »
Sebhan hors des clous
Cirque mort, à l’intrigue retorse et poignante, est une histoire de désirs indicibles aujourd’hui, de tabous définitifs, de points Godwin de la morale à l’époque des nouvelles Yvonne De Gaulle de Twitter et des Jean Royer 2.0. Sauf que Sebhan, qui est un écrivain, ne s’occupe que de la beauté même dans l’horreur et se fout de l’ordre moral, sexuel, psychiatrique du moment. D’ailleurs, Cirque mort est aussi une histoire où ce qu’il est médicalement convenu d’appeler la folie est en fait le seul mode rationnel de connaissance du monde et aide à résoudre l’enquête.
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Inutile de dire que Sebhan n’est pas franchement dans l’air du temps quand la littérature, même noire, conteste bien dans les clous et quand on écrit en respectant le code de la route, même si on fait semblant de faire des excès de vitesse pour épater le bourgeois que cela laisse pourtant indifférent depuis longtemps.
Gilles Sebhan, lui, est dans le pur travail du négatif. Il est bien seul. C’est pour cela qu’il faudrait lire son Cirque mort. Et passer le mot.
Cirque mort, Gilles Sebhan (Rouergue/Noir, 2018)
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