Une circulaire publiée au Bulletin officiel de l’Éducation nationale évoque l’accueil des enfants « transgenres » à l’école, et met ainsi les pieds dans le plat de la « théorie du genre ». En réaction, Eric Zemmour dénonce la complaisance de Jean-Michel Blanquer avec les « injonctions abominables » de militants et fait allusion au docteur Mengele…
Après les années Najat (les heures les plus sombres de mon histoire de prof), Blanquer m’est apparu comme un sauveur. Je me suis accrochée à ses réformes : le retour des œuvres patrimoniales et de la grammaire genrée au lycée, le lire-écrire-compter à l’école élémentaire ; l’instruction prenant le pas sur l’idéologie, en somme.
La séquence Transgenre-à-l’école, de l’ahurissant Bulletin Officiel (BO) qui en est au principe aux tartufferies que mon ministre opposait sur Europe 1 à la réaction indignée de Zemmour, sans parler du programme de rééducation que ledit BO entend mettre en œuvre, me plonge dans l’incompréhension et dans l’affliction.
Il y a deux ans, alors que j’officiais comme professeur de lettres dans un lycée du sud de la France, me parvenait un courriel laconique émanant de la direction : l’élève Pierre Dupont se prénommerait désormais Stella ; le proviseur avait accédé à la demande de cet élève, appuyée par sa famille, et les CPE passeraient dans la classe de ce même élève pour en informer ses camarades. J’y jetai un coup d’œil distrait.
Prudence et délicatesse de mise
Le mercredi suivant, alors que je relevais l’absence de Pierre, une déléguée de classe me fit remarquer, d’un ton offusqué, que je ne devais plus appeler Pierre, Pierre, mais Pierre, Stella. J’apprenais que l’annonce du changement de prénom s’était faite sous les applaudissements d’une partie de la classe, la claque (un ensemble de filles zélées, investies dans toutes les associations culturelles du lycée, du tri des déchets à la lutte contre les violences faites aux femmes) étant allée jusqu’à proposer à Pierre-Stella des sous-vêtements dont elle n’avait plus l’usage. J’apprenais aussi que, dans le même temps, les élèves (les récalcitrants ? les distraits ?) s’étaient vu menacer de sanction pour tout manquement à ce nouveau « décret », que le malaise était palpable au sein de la classe et que mon positionnement sur la question était attendu.
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J’ai pris la décision qui me semblait appropriée à mon statut et à ma responsabilité d’enseignant : m’en tenir à l’état civil de cet élève (autrement dit l’appeler par son prénom ou par son nom de famille) tout en étant particulièrement attentive au désarroi et à la souffrance que cette demande traduisait ; lui fixer des objectifs de travail afin d’éviter sa déscolarisation et de le mener jusqu’au baccalauréat. J’ai rappelé aux élèves de la classe qu’ils devaient lui témoigner leur sollicitude et l’aider à surmonter ses difficultés dans la discrétion. Enfin, j’ai expliqué à mon proviseur ce qui motivait ma décision : le refus de l’arbitraire et de la pression injustement exercée sur le groupe, ma gêne de voir les problèmes de cet élève exhibés alors que la prudence et la délicatesse me semblaient de mise, la réserve qui était la mienne devant ce qui était présenté comme une solution à ces mêmes problèmes, la nécessité, enfin, de nous recentrer sur notre mission principale, l’enseignement.
Quelques mois plus tard, la presse nous informait du suicide d’un élève d’un établissement lillois et mettait en cause une partie de l’équipe éducative qui n’aurait pas accompagné de façon appropriée cet élève dans sa « transition de genre ».
La théorie du genre relève de l’idéologie
La peur du pénal et l’idéologie ont fait le reste : notre ministre entend régler définitivement la question par une circulaire en forme de sommation d’une rare violence. Cette violence s’exerce à l’encontre de l’ensemble des élèves, du personnel éducatif, mais aussi, à mon sens, à l’encontre des élèves en « transition de genre » et de leurs familles.
Ainsi, il est désormais interdit aux élèves de relever l’évidence du dimorphisme sexuel et d’appeler un chat, un chat (nous nous en tiendrons à la forme masculine du substantif). De toute façon, l’éducation nationale aura veillé à réformer les consciences et les attitudes déviantes par des campagnes de sensibilisation assorties de mesures d’intimidation. À celui qui répugne à partager les « espaces intimes » avec une personne de l’autre sexe, pour seul remède, la « transition » : il aura alors droit à un traitement individualisé et à une bienveillance sans limite. Sinon, qu’il se taise, ou mieux encore qu’il clame son enthousiasme.
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Quant au professeur, il mettra toute son énergie et sa disponibilité à accompagner les élèves dans leur « transition de genre » selon les règles fixées par l’Éducation nationale, règles auxquelles il ne pourra déroger sous peine de sanctions (disciplinaires ? pénales ?). Proscrites la prudence la plus élémentaire et les questions qui tombent sous le sens : les conditions d’un choix libre sont-elles réunies alors que le malaise et la souffrance de l’élève sont patents et que la campagne promotionnelle LGBT+ favorisée par les réseaux sociaux bat son plein? La solution de ce malaise et de cette souffrance réside-t-elle dans la « transition de genre » ? L’école n’a-t-elle pas pour mission première d’inculquer à l’élève un savoir émancipateur, condition même de l’exercice du jugement, plutôt que de recenser les revendications individuelles et de conforter les particularismes? Un professeur peut-il être contraint d’avoir une attitude que sa raison et sa conscience réprouvent? Un professeur contraint de dispenser une parole frauduleuse ne perd-il pas toute crédibilité auprès de ses élèves et son autorité n’est-elle pas légitimement remise en question?
On ne détransite pas facilement !
Le BO n’oublie pas les familles. Le consentement des parents au changement de prénom et aux mesures associées est requis. Cependant, s’ils venaient à se montrer réticents, l’équipe éducative veillerait à « créer les conditions d’un dialogue constructif, voire d’une médiation, avec les représentants légaux permettant de rechercher le consensus ». Gageons que la perspective de la transmission d’une « information préoccupante à la Crip » (cellule départementale de recueil des informations préoccupantes) à laquelle invite ce même BO dans le cas d’une suspicion de violences psychologiques achèvera de les convaincre. Ou aboutira à une rupture, tragique pour l’élève, entre l’école et la famille.
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Enfin, et c’est peut-être le plus scandaleux dans l’affaire, le fait d’engager un enfant ou un adolescent dans ce processus me semble être une faute professionnelle grave et une atteinte aux droits de l’homme-en-construction qu’est tout élève: on ne dé-transite pas aussi aisément qu’on transite, quoi qu’en pensent les apprentis sorciers de l’Education nationale et les effets de toutes ces chamaneries pourraient être irréversibles.
Cette circulaire affirme donc un changement de cap de la part du ministère Blanquer : il ne s’agit plus de faire progresser les élèves dans le classement PISA mais de sacrifier les élèves aux idoles du progressisme. Et de s’en laver les mains. Pour ma part, je m’attacherai à rester blanquériste, envers et contre lui.
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