Une circulaire de l’Éducation nationale du 30 septembre détaille et harmonise les mesures à prendre face à un élève se disant touché par la fameuse « dysphorie de genre ». Accepter qu’un enfant change de prénom et de pronom est une démarche lourde de conséquences.
La théorie du genre, on le sait, n’existe pas. Et comme elle n’existe pas, l’Education nationale en a intégré les principes dans une nouvelle circulaire intitulée “pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire”. Selon cette circulaire, les élèves qui se réclament d’une identité transgenre pourront, avec l’accord de leurs parents, prétendre à l’usage d’un nouveau prénom qui figurera sur leur carte de cantine et les listes d’appel, et entrer dans les toilettes de leur choix ; quant aux personnels de l’Education nationale, ils devront employer le pronom “il” ou “elle” choisi par l’élève – sous peine de poursuites de la famille, on peut le craindre, tandis que l’institution, elle, se réserve le droit d’user du prénom et du sexe figurant à l’état civil pour les examens nationaux.
Cette circulaire “était attendue”, précise France Info, en réponse au suicide d’une lycéenne transgenre à Lille en décembre 2020, “qui avait interrogé le rôle de l’institution scolaire dans l’accompagnement de ces élèves”. Qu’il faille s’interroger sur le rôle de l’institution scolaire dans un tel cas de figure est une évidence. On aimerait d’ailleurs que les élèves qui ont souffert de dépressions sévères déclenchées par la politique sanitaire radicale appliquée dans les écoles, dont certaines ont malheureusement abouti au suicide ou à des tentatives de suicide, aient eu eux aussi l’honneur d’une circulaire. De même, on rêverait que la multiplication des phobies scolaires – sans oublier l’explosion des dyslexies – interroge, elles aussi.
Pas de consensus médical
On aurait même souhaité que le ministère réfléchît à la manière dont les autres élèves, filles ou garçons, allaient apprécier l’éventuelle irruption d’une fille transgenre ou d’un garçon transgenre dans leurs toilettes respectives. Mais on ne peut pas penser à tout.
Quoi qu’il en soit, s’il convient de s’interroger sur la manière dont on accueille les enfants et les adolescents sujets à ce qu’il est désormais convenu d’appeler la “dysphorie de genre”, il n’est pas certain que la réponse apportée par cette circulaire soit la meilleure. Les psychiatres et psychologues, pour commencer, ne sont pas d’accord entre eux.
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Dans certaines consultations, on accueille immédiatement la parole de l’enfant ou de l’adolescent comme la bonne parole, et on conseille aussitôt à la famille d’adopter sans attendre tous les codes du sexe opposé – vêtement, coiffure, prénom, pronom. On part semble-t-il du principe que la nature, en quelque sorte, s’est trompée, et qu’il faut corriger cette erreur.
Cette stratégie éclair est un petit peu surprenante. Il peut y avoir mille raisons, en effet, de ne pas se sentir bien dans son sexe, comme il peut y avoir mille raisons de ne pas se sentir bien dans sa peau : peur de ne pas être aimé, difficulté à trouver sa place dans la société, sensation qu’un corps en transformation va trop vite pour nous, abus sexuels, violences… Et la dysphorie de genre pourrait dans certains cas au moins n’être que le symptôme d’un autre trouble : autisme, dépression, anxiété sociale, syndrome post-traumatique… Aussi bon nombre de praticiens préconisent à l’inverse de faire tout simplement ce que l’on a toujours fait dans la psychiatrie infantile, c’est-à-dire écouter, dialoguer, sans se précipiter pour proposer un diagnostic et des solutions qui pourraient n’être qu’un leurre et pousser l’enfant ou le jeune dans une direction artificielle dont il aurait d’autant plus de mal à revenir qu’elle lui aura été assignée socialement.
Le sexe est une simple constatation biologique
Mais les déconstructeurs n’ont visiblement pas peur de se livrer au plus actif constructivisme. Ils dénoncent un sexe “assigné” à la naissance, alors que le sexe n’est pas “assigné” mais constaté (car il faut le préciser, les enfants souffrant de ne pas se reconnaître dans leur sexe ne sont pas nécessairement, loin de là, des enfants dont le sexe serait organiquement mal défini). Mais ils ne craignent pas de leur côté d’assigner à un enfant ou à un adolescent un genre opposé à son sexe, sans prendre le temps d’examiner posément la chose, sans la moindre prudence, alors même que cette démarche est très lourde de conséquences. Que l’Education nationale emboîte le pas des constructivistes n’est pas très rassurant, et elle pourrait bien jouer là aux apprentis sorciers.
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D’autant qu’on néglige le phénomène pourtant bien connu de contagion sociale. On sait que les hystériques ont pullulé à l’époque de Charcot, que les personnalités multiples ont défrayé la chronique psychiatrique des années soixante, tandis que les bipolaires et les pervers narcissiques sont aujourd’hui légion. Il y a des modes dans les pathologies comme dans la coiffure, et cela n’est pas bien difficile à expliquer : l’être humain, animal social, a une tendance naturelle à se conformer au désir de l’autre pour être accepté par lui. L’enfant tend à se conformer au désir de ses parents d’abord, à celui de la société ensuite. Le patient répond au désir de son psychiatre. D’ailleurs, l’être humain a besoin de donner un sens à son expérience ; il a soif d’explications ; et à défaut d’en trouver par lui-même, il fait siennes celles dont la société fait la publicité. Que ces explications soient pertinentes, bancales, voire totalement erronées peut très bien s’avérer secondaire, pourvu que l’angoisse de l’incompréhension soit soulagée.
Le désir des parents, donc. Souvenez-vous par exemple de ce petit garçon surnommé Lilly, qui dit se sentir fille, qui accompagné par sa mère a fait le tour de quelques plateaux de télévision il y a peu. Nous en fûmes tous un peu troublés. D’abord, n’était-il pas un peu imprudent d’exposer ainsi médiatiquement un si jeune enfant ? L’effet eût sans doute été moins touchant ; la présence d’un enfant est toujours attendrissante. Mais la mère eût quand même été plus avisée de venir témoigner sans lui. Surtout, elle avait raconté comment elle avait poussé un soupir de soulagement en apprenant que son fils s’éprouvait comme fille. Le spectateur sentimental et progressiste a bien sûr trouvé cela très beau, tant de tolérance et d’ouverture d’esprit ; mais le spectateur un peu critique a pu de son côté se sentir un peu étonné : la plupart des parents n’auraient-ils pas plutôt conçu une vague inquiétude, au moins dans un premier temps, devant le difficile chemin qui s’ouvrait devant leur enfant ? Dans ce contexte, on ne peut qu’espérer qu’elle se soit interrogée sur le rôle que son désir à elle a pu jouer dans son désir à lui. La nature, peut-être, s’est trompée ; mais nous aussi nous sommes sujets à l’erreur, aux illusions, sur nous-mêmes et sur les autres. Et que ne ferait-on pas pour être aimé ? Des psychanalystes comme Christian Flavigny ou Jean-Pierre Lebrun, interrogés par la presse, ont d’ailleurs soulevé le problème : les enfants qui les consultent, s’accordent-ils à dire, souffriraient d’une certaine crainte de ne pas être aimés tels qu’ils sont sexués, petit garçon ou petite fille. Un peu de prudence dans le diagnostic, en tout cas, ne nuit pas.
Résister au tapage
Ensuite la contagion sociale. L’explosion des cas de dysphorie de genre en Grande Bretagne ou en Suède – de l’ordre de 1500 à 4000 % en dix ans selon les sources – devrait sérieusement nous alerter. D’où vient cette progression spectaculaire ? D’aucuns invoqueront peut-être les perturbateurs endocriniens ; d’autres se réjouiront que la parole se soit enfin libérée ; mais une troisième hypothèse est également plausible : un grand nombre de personnes souffrant réellement de quelque chose sont tentées de s’emparer de l’explication actuellement disponible, surtout si cette explication est en quelque sorte héroïsée comme elle l’est actuellement à travers films, articles de presse, émissions de télévision, réseaux sociaux – et communication institutionnelle. Comment résister à un tel tapage ? Si l’on est jeune et mal dans sa peau, comment ne pas se demander si, par hasard, ce ne serait pas que notre sexe et notre genre ne seraient pas d’accord entre eux ? Le docteur Agnès Condat, dans une interview à Marianne, faisait ainsi remarquer que des enfants venaient la consulter pour dysphorie de genre après avoir vu une émission sur le sujet. Selon elle, ces émissions ont agi comme un “révélateur” ; mais on devrait à tout le moins se demander si elles n’ont pas agi plutôt comme un incitateur. D’ailleurs, le phénomène de contagion a déjà pu s’observer dans certains établissements scolaires, qui n’ont pas attendu la circulaire du ministère pour entériner un changement de prénom et de pronom réclamé par tel élève : il est arrivé que plusieurs autres élèves de la même classe réclament alors eux aussi un changement de prénom. Ainsi, au nom d’un meilleur accompagnement des enfants et des jeunes en difficulté avec leur identité sexuelle, on prend le risque d’encourager d’autres enfants ou jeunes en difficulté à s’emparer de ce trouble, quitte à ce qu’ils fassent complètement fausse route et se perdent en chemin.
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Un nombre non négligeable d’adultes commencent d’ailleurs à témoigner de leur regret d’avoir opéré une transition d’un sexe à l’autre. L’hôpital Karolinska, en Suède, le plus avancé dans la matière, a de son côté changé son fusil d’épaule, se veut désormais plus prudent et, n’ayant pas constaté d’effet positif sur le bien-être de ses patients, ne prescrit plus de traitement hormonal aux mineurs. Mais pendant que la Suède fait machine arrière, la France, elle, est en marche à grands pas. Espérons que le destin promis à tous ces pauvres jeunes gens en souffrance ne passera pas nécessairement par les hormones, qui ne vont pas sans effets indésirables, ou les opérations chirurgicales, irréversibles, pour de mauvaises raisons.
“Tu seras un homme, mon fils” : le poème de Rudyard Kipling donnait une leçon de lucidité, de courage, d’honnêteté, d’humilité, qui pouvait inspirer les femmes comme les hommes car après tout, c’est d’abord avec un petit nombre de vertus qu’on fait face à la vie et à la condition humaine, qu’on soit homme ou femme. “Tu seras une femme, mon fils” (ou “Tu seras un homme, ma fille”) fait rimer chimie et illusion de toute puissance. Notre siècle manque singulièrement de poésie (on ne s’en inquiète pas, et on a tort).
Il n’empêche que les associations les plus militantes estiment – le croirez-vous ? – qu’avec cette circulaire on n’en a pas fait assez, puisqu’on exige quand même l’aval des deux parents avant de procéder à un changement d’identité scolaire. On voit jusqu’où peut aller l’aveuglement : l’institution devrait selon eux répondre au premier souhait balbutié par l’enfant – dès trois ans ? – au mépris de l’avis de sa famille, qui pourtant est a priori celle qui le connaît le mieux ; au pire, se contenter de l’aval d’un des deux parents (on imagine le déchirement des familles sur une question aussi cruciale) ; et l’institution devrait immédiatement et sans discussion lui assigner, pour reprendre leur vocabulaire, un genre opposé à son sexe. On voit que la circulaire de l’Education nationale a finalement du bon : car jusqu’ici, à la grande joie de ces associations, des professeurs et des directeurs d’établissements scolaires prenaient sur eux en effet de procéder à un changement du prénom et du pronom sur demande de l’élève, sans même prendre la peine d’en parler aux parents, en toute bonne conscience. On n’est jamais trop écervelé, semble-t-il, pourvu qu’on aille dans le sens du vent.
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Une dernière chose devrait nous faire réfléchir : la plupart des demandes de transition d’un sexe à l’autre sont le fait de filles qui voudraient être des garçons. Notre société, si prompte à accuser les siècles passés d’avoir infligé une terrible domination masculine à de pauvres femmes bien malheureuses, devrait se demander pourquoi tant de femmes, aujourd’hui, ne sont pas heureuses d’être des femmes.
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