Deux polémiques sont venues alimenter coup sur coup le débat sur le financement du cinéma français. La première concernait la rémunération des comédiens. La seconde concerne le projet de loi du gouvernement garantissant un salaire minimal aux techniciens. Un regard naïf a tôt fait de conclure que les rémunérations trop élevées des comédiens sont une chose « injuste » tandis qu’un salaire minimal pour les techniciens serait « juste ». Cette manière de voir appelle quelques remarques.
Tout d’abord, le juste et l’injuste ne se disent pas des choses considérées en elles-mêmes mais des différentes manières d’arbitrer des conflits dans des situations particulières. Si une star a reçu un salaire exorbitant, c’est que quelqu’un était prêt à le lui donner. On imagine mal un comédien décliner ainsi la proposition d’un producteur : « Le scénario que vous m’avez envoyé est vraiment très intéressant, mais je suis désolé, votre proposition financière est trop avantageuse pour moi. Je vous prierai de bien vouloir la réduire ou de cesser de m’importuner avec vos demandes ». Si l’on accepte qu’il est rationnel de négocier à la hausse le salaire qu’on reçoit en échange de son travail, on voit mal où est la faute morale. Restent les producteurs. On a également du mal à se les figurer inspirés par la recherche masochiste du plaisir de se saigner à blanc. Il est plus vraisemblable de supposer que s’ils ont proposé ces salaires, c’est qu’ils espéraient un retour sur investissement. Dans le vocabulaire des affaires on dirait qu’ils se sont joliment plantés. Mais on a du mal à voir, une fois encore, où est la faute morale.
Notons que dans une société libre, l’Etat n’administre pas les affaires des hommes. Il administre la justice parmi des hommes qui conduisent leurs propres affaires. Si les producteurs se sont légalement plantés dans leurs négociations, on voit mal ce que l’Etat aurait à y redire. On voit mal également ce qu’il vient faire dans les rémunérations accordées aux techniciens. Un producteur propose un salaire pour un certain travail, le technicien est libre de l’accepter ou non. Rien ne le force à accepter. S’il accepte, il faut qu’il honore sa partie du contrat. S’il n’accepte pas, il passe son chemin : c’est sans doute qu’il a quelque chose de mieux à faire ailleurs. Dans une société libre, est juste ce qui a été librement consenti. On comprend mal ce que le contrôle des salaires par l’Etat pourrait avoir de « juste ». S’il faut vraiment appliquer un qualificatif moral à ce type d’intervention, ce qui convient le mieux c’est « injuste ». Quoi qu’il soit aussi rationnel pour l’Etat d’étendre son pouvoir autant que faire ce peut.
D’une manière générale, la raison pour laquelle l’Etat se mêle de culture, ou pour laquelle il existe quelque chose comme un « Ministère de la Culture », reste hors de portée de mon intelligence sceptique.
In fine, toutes les raisons invoquées pour protéger le cinéma français tournent autour d’une seule : le préserver d’un cinéma « formaté ». Il semblerait au contraire que le formatage soit essentiel à l’art. Ce qui fait l’intérêt, par exemple, d’un sonnet, ce sont les règles de formatage très strictes qui rendent si intéressante la manière dont le poète les utilise pour parvenir à dire ce qu’il veut dire. Reprocher au cinéma d’être formaté reviendrait à reprocher au sonnet sa forme. Or, si les meilleurs produits audiovisuels actuels sont les séries télévisées, c’est précisément parce que ce sont les plus formatés.
*Photo : XanderLeaDaren.
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