Vous vous souvenez peut-être de l’échange houleux que Nicolas Dupont-Aignan avait eu avec Lambert Wilson dans l’émission On n’est pas couché, le 25 mars dernier. Le président de Debout la France s’y étonne de la propension à percevoir le protectionnisme comme un gros mot alors que c’est une pratique déjà existante en France et ailleurs. Tandis qu’il prend l’exemple du cinéma français, l’acteur le reprend en affirmant qu’il ne s’agit pas là de protectionnisme mais de subventions ! Rappelons à Lambert Wilson que les subventions sont un des outils utilisés pour faire du protectionnisme. Les opposer en déclarant « on le subventionne, on le défend, c’est différent, on ne le protège pas » est donc tout simplement faux.
Nicolas Dupont-Aignan dézingue la pensée unique… par dlrtv
Mégoter sur les mots…
L’affirmation de Lambert Wilson est presque aussi drôle que la pub Twix qui prétend avec humour que les deux Twix vendus ensemble sont fondamentalement différents, l’un étant fait en coulant le caramel sur le biscuit et en l’enrobant de chocolat tandis que pour l’autre on nappe le biscuit de caramel et on le recouvre de chocolat. Différence fondamentale qui ne repose donc que sur le lexique employé.
Twix : Twix Gauche et Twix Droite par TBTC_
Malheureusement, plutôt que de nous déployer la gorge, l’intervention de Lambert Wilson nous fait froncer les sourcils. Et nous met en effet dans l’embarras tant il s’agit d’une énormité. Ce soir-là, l’acteur ne cherchait pas à faire rire, il était persuadé que les subventions perçues par le cinéma français ne constituaient pas une forme de protectionnisme.
…pour mieux se cacher la réalité
Cet événement pourrait être anecdotique s’il n’était pas symptomatique du formatage de l’élite du cinéma français, ou pour être plus précis, de tous ces acteurs et actrices qui s’octroient le droit de dire ce qui est bien, ce qui est mal, lorsqu’on les invite dans les médias. Non-contents de soutenir ou d’appeler à voter pour un candidat libéral, ces simples citoyens donnent à tout bout de champ des leçons de morale. On peut d’ailleurs élargir la catégorie à tous les people, à l’image de Christine Angot faisant pathétiquement la leçon à François Fillon durant la campagne présidentielle.
Pour en revenir au cinéma, les moralisateurs ont en plus le don de s’attribuer généreusement le statut d’exception : « je propose la même chose que vous, mais c’est différent car je suis progressiste. » Dernier exemple en date : l’appel des cinéastes européens, déposé le 22 mai dernier sur le site de la Société des Acteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Cette missive est un exemple flagrant de malhonnêteté intellectuelle, voire d’hypocrisie. Les signataires font diverses demandes légitimes pour non seulement maintenir et favoriser la diversité de la production cinématographique mais aussi assurer un revenu aux travailleurs du secteur, garantir la survie des petites productions européennes face au géant américain, à un moment où les institutions européennes discutent du droit d’auteur dans l’espace numérique. Débat d’actualité, comme l’a montré le refus de Netflix de diffuser dans les cinémas ses deux films présentés à Cannes.
Non au marché unique européen!…
Ces demandes se font au nom de l’exception culturelle, comme en témoigne l’extrait suivant : « Rêver au marché unique européen peut être séduisant mais, en l’état, un tel projet irait à l’encontre du fondement de la diversité et de l’exception culturelle. » Notons que les cinéastes prennent donc fait et cause pour le libéralisme économique, exception faite du secteur de la culture. Jusque-là tout va bien, c’est une position défendue par les gouvernements français successifs.
Déjà, le 23 mai dernier, la SACD avait organisé un débat au CNC où furent évoquées la taxe Netflix et la taxe Youtube, ainsi que la nécessité que l’Union européenne impose des quotas d’œuvres européennes sur les services de vidéos à la demande. Invité le 7 juin sur Buzz Média TDF – Le Figaro, le directeur général de la société, Pascal Rogard, constatant l’attentisme de l’Union européenne dans l’autorisation de la taxe Netflix, déclarait qu’actuellement « Bruxelles, c’est tapis rouge pour les Américains ». Et concernant les quotas, la société juge cette mesure nécessaire pour lutter contre « le dumping culturel dont abusent certaines grandes plateformes du Net ». On aimerait que la SACD se montre solidaire de toutes les luttes contre les différents dumpings…
Ce lien entre quotas et législation européenne rappelle l’arrêt Bosman pris en 1995 par la Cour de Justice des Communautés européennes. Cette décision interdisant les quotas de nationaux dans les clubs de football eut pour conséquence directe la flambée des prix de transfert. Et en 2002, le Real Madrid remporta la Ligue des Champions après avoir constitué à coups de millions son équipe de Galactiques. C’est cette même Union européenne qui hier n’a pas reconnu d’exception culturelle aux clubs de football, favorisant le riche contre le pauvre, qui s’apprête aujourd’hui à instaurer des quotas pour protéger le cinéma européen. D’ailleurs, Evelyne Gebhardt, vice-présidente du Parlement européen, faisait remarquer à la fin du débat au CNC que « sinon, c’est la loi du plus fort qui s’impose et c’est tout l’inverse de la liberté. » Il était temps de se réveiller ! Quant aux cinéastes, ce n’est certes pas leur rôle de condamner toutes les formes de concurrences déloyales, mais on aimerait qu’ils défendent l’exception culturelle sans en faire en même temps un combat contre ceux qui défendent le protectionnisme partout où il s’avère nécessaire.
…et au repli sur soi?!
Car là où le bât blesse, c’est que cet appel du 22 mai se fait au nom des « valeurs positives » et en opposition au repli sur soi. Dès la première phrase de ce communiqué, cet appel sert la logorrhée habituelle : « Citoyens et cinéastes européens, nous vivons au cœur d’une Europe qui porte un bel espoir quand elle est fidèle aux valeurs de tolérance, d’ouverture et de diversité et qu’elle se défend des visées nationalistes, obscurantistes et frileuses qui la traversent. » Pourquoi un tel besoin de verser ainsi dans la banalité ? Tout simplement parce que l’exception culturelle qu’ils invoquent se justifie par la nécessaire défense de l’identité. Ils avouent eux-mêmes le lien entre culture et identité, mais voulant redoubler de précautions, les signataires évoquent plus largement les « identités plurielles », pour en faire un synonyme de diversité. C’est oublier, qu’effectivement, il n’y pas d’identité propre à soi sans distinction avec celle d’autrui, pas d’identité hors de la diversité. Par exemple, parler d’identité sexué c’est admettre qu’il existe une différence des sexes. Ainsi, parler d’identités plurielles, c’est quasiment un pléonasme. Mais passons.
La SACD n’a pas peur des incohérences : alors qu’elle demande du protectionnisme pour le secteur de la culture, elle s’autorise à condamner le repli sur soi, soit à attaquer directement les partis politiques qui défendent le protectionnisme. En bref, ils sont à la fois pour le marché unique et un protectionnisme pour le domaine de la culture. Fameuse rhétorique du « en même temps ».
Car oui, bon nombre d’entre eux prennent officiellement parti pour le camp libéral. Lelouch et Hazanavicius, tous deux signataires, n’avaient-ils pas cosigné une tribune de l’ARP appelant à voter Macron durant l’entre-deux-tours ? Costa Gravas, aussi signataire, n’avait-il pas lui aussi signé une tribune parue dans le Huffington Post ? Rappelons d’ailleurs que Claude Lelouch avait été présent au meeting de Sarkozy, place de la Concorde, en 2012, pour le soutenir. A l’époque il n’était visiblement pas gêné par la « droitisation » du discours…
Sous la vertu, les intérêts
On se souvient aussi d’Olivier Py pesant de tout son poids pour que le Front national ne remporte pas la mairie d’Avignon. Gageons qu’il n’aurait pas tenu sa menace de déménager le festival – qui, au passage, ne lui appartenait pas – tout comme les nombreuses célébrités américaines, qui avaient menacé de quitter les États-Unis si Trump était élu, n’ont jamais pris le chemin de l’exil. De mauvaises langues rapportent d’ailleurs que l’exil était avant tout un exil fiscal, rendu inutile depuis que la nouvelle administration a promis de réduire la fiscalité sur les revenus.
Comment différencier ces donneurs de leçon, des très vulgaires Kassovitz, Lellouche et Biolay qui avait insulté Dupont-Aignan après son alliance avec Marine Le Pen ?
Insultes odieuses de @GillesLellouche @kassovitz1 @Benjamin_Biolay : je dépose plainte. Donneurs de leçon se comportent comme des racailles.
— N. Dupont-Aignan (@dupontaignan) 29 avril 2017
Comment ne pas y voir de la bien-pensance quand, au même moment, c’est tout le parterre du festival de Cannes qui applaudit le discours protectionniste du futur député François Ruffin recevant un césar pour son documentaire Merci Patron ! ?
Ces artistes se parent toujours de la vertu quand ils ne font que défendre leurs intérêts. Le 9 avril dernier, la SACD lançait déjà un premier appel où l’on trouvait encore des mots très convenus : « A l’heure où un grand nombre de pays d’Europe font face à de nouveaux mouvements obscurantistes aux relents de haine, les lueurs d’espoir peuvent aussi venir du cinéma. » L’appel étant une énumération des mesures que la SACD souhaiterait que la Commission européenne prenne, le propos est de toute évidence hors sujet. Néanmoins, il a bien son utilité : il sert à inscrire dans le combat pour le progrès des mesures qui vont pourtant à l’encontre de la concurrence libre et non-faussée.
Incohérents et égoïstes
La défense de l’exception culturelle n’est nullement mauvaise. C’est même juste. Mais cela ne serait pas doublement incohérent si on n’accusait pas dans le même temps de repli sur soi ceux qui veulent permettre à chacun de pouvoir vivre de son travail en leur fournissant la même protection et si on ne refusait pas cette même protection à d’autres secteurs. Car un juste protectionnisme ne propose rien d’autre que cela : que les autorités interviennent pour protéger les acteurs économiques de leur territoire pour qu’ils puissent survivre. Il ne faut pas confondre exception culturelle et exclusivité culturelle. La culture n’est pas le seul secteur qu’il est juste de protéger, d’autres exceptions existent. En condamner ainsi le protectionnisme tout en défendant l’exception culturelle, la Société des Acteurs et compositeurs Dramatiques fait preuve d’incohérence et d’égoïsme. N’est-ce pas là un cas manifeste de repli sur soi ?
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