Le grand retour de Pascal Thomas, un rôle en or pour Daniel Auteuil, un film grec en forme de ratage intégral. Ainsi va le cinéma européen en ce début d’année, entre plaisirs et déconvenue.
Allons-y !
Le Voyage en pyjama, de Pascal Thomas, sortie le 17 janvier 2024.
Pascal Thomas n’a pas la carte. Cette fameuse carte germanopratine inventée par Jean-Pierre Marielle et ses copains du conservatoire pour se moquer du petit monde fermé du cinéma hexagonal. Mais la très sérieuse Cinémathèque française a fini quand même par lui rendre hommage l’an passé sous la forme d’une rétrospective bienvenue et méritée. Depuis 1972 et la sortie du merveilleux Les Zozos, le scénariste et réalisateur n’a cessé d’enchanter ses spectateurs. Comment ne pas se souvenir du film suivant, Pleure pas la bouche pleine, avec son impeccable casting mené tambour battant par les professionnels Jean Carmet, Bernard Menez et Frédéric Duru, secondés par des amateurs au charme fou ? Un petit bijou de comédie romantique rurale coproduit par une société de production baptisée « Les Films du chef-lieu » : on ne saurait trouver appellation plus appropriée ! Sur le ton de la chronique, comme Jean Renoir, Maurice Pialat, Jacques Rozier ou Bertrand Tavernier, Pascal Thomas saisit sur le vif la vie de ces jeunes gens de la campagne avant la catastrophe urbaine. Sous les blagues et l’humeur rigolarde, une sourde mélancolie fait son apparition. Dès son deuxième film, le cinéaste installe ainsi sa « petite » musique.
Dix-huit films suivront jusqu’à ce Voyage en pyjama qui inaugure cette nouvelle année. Entretemps, Les Maris, les femmes, les amants ; La Dilettante ; Mercredi, folle journée ; Mon petit doigt m’a dit et À cause des filles, entre autres, ont distillé leur indéniable capacité à rendre heureux les spectateurs. Sa recette, de jolis scénarios finement ciselés, des dialogues malicieux et des acteurs qu’on sent portés par la joie de jouer devant cette caméra qui les aime. On s’en voudrait de ne pas citer également Ensemble, nous allons vivre une très très grande histoire d’amour…, film méconnu et pourtant l’un des plus réussis à nos yeux. Cette adaptation de Fais-moi très mal, mais couvre-moi de baisers –un film de Dino Risi co-écrit avec les géniaux scénaristes italiens de la grande époque, Age et Scarpelli – est une comédie pleine d’allant incarnée à la perfection par Marina Hands, Julien Doré et Guillaume Galienne dans le rôle hilarant d’un tailleur sourd et amoureux.
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Avec son nouvel opus, Le Voyage en pyjama, le cinéaste signe donc son vingtième long-métrage. Il y raconte les tribulations, notamment cyclistes, d’Alexandre, un quadragénaire qui décide de se réconcilier avec son passé. Il entame un voyage pour retrouver tous ceux qui ont compté dans sa vie : ses amis, mais aussi ses ex qui le maudissent autant qu’elles le regrettent. Retrouvant pour la septième fois le comédien Alexandre Lafaurie, il lui confie ici le rôle principal et la réussite du film tient autant à ce choix qu’à celui de ses partenaires, parmi lesquels Pierre Arditi, Constance Labbé, Irène Jacob, Lolita Chammah et Hippolyte Girardot. Pascal Thomas apporte sa modeste mais réjouissante contribution aux débats sur l’éternelle thématique des relations hommes-femmes. Il n’est pas certain que sa vision mesurée coche les cases de l’hyperféminisme en cours et c’est… tant mieux. Comme Victor, son héros, le cinéaste préfère les petites routes improbables aux grandes voies toutes droites et convenues. Et nous avec lui. Il nous invite à rêver le monde en prenant le temps de vivre, sans se faire, pour autant, d’illusions excessives. Là résident sa force et son charme de conteur mi-lunaire, mi-lucide. On ne saurait alors résister à sa nouvelle invitation au voyage.
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Pourquoi pas ?
Un silence, de Joachim Lafosse, sorti le 10 janvier 2023.
Le cinéaste belge Joachim Lafosse excelle dans l’anatomie de la cellule familiale, comme il l’a déjà prouvé avec d’incontestables réussites : À perdre la raison, L’Économie du couple et Les Intranquilles. Il revient cette fois avec Un silence, soit une proposition très stimulante tirée d’un fait divers qui s’est déroulé en Belgique. Ou plutôt, un fait divers dans un fait divers puisqu’il s’agit de l’incroyable découverte des pratiques pédophiles de l’avocat d’une victime de Marc Dutroux ! On ne saurait faire plus abyssal et vertigineux. Le film ne pourrait être alors que l’illustration de cette abominable vérité, une énième variation d’un délinquant sexuel. Mais comme le titre l’indique explicitement, Lafosse s’intéresse d’abord et avant à tout à celle qui s’est tue durant des années pour préserver son avocat de mari : l’épouse, donc, incarnée à la perfection par Emmanuelle Devos. Face à elle, Daniel Auteuil est impressionnant de vérité, de justesse et de complexité, de force et de fragilité.
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Courage, fuyons !
Pauvres créatures, de Yorgos Lanthimos, sortie le 17 janvier.
Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos est depuis son troisième film, Canine, sorti en 2005, une créature du Festival de Cannes. Il a remporté successivement, entre 2009 et 2017, les prix Un certain regard, ceux du Jury et du Scénario. Franchissant une à une les marches de la provocation gratuite et esthétisante, Lanthimos déroule sa carrière comme un général en campagne. Chacun de ses films se veut être un coup de tonnerre dans le calme du cinéma européen. Il revient cette année avec Pauvres créatures, un pseudo brûlot néoféministe, à travers le récit de l’émancipation d’une jeune fille dans une « comédie noire surréaliste et rétrofuturiste » (sic) dont les naïvetés visuelles autant que les outrances narratives donnent seulement à sourire amèrement. On se demande ce que William Dafoe, Emma Stone et Mark Ruffalo sont allés faire dans cette galère qui ne les ménage guère. On souffre même pour eux durant cent quarante et une minutes : pauvres créatures, pauvres acteurs, pauvres de nous !
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