Depuis des décennies, nos gouvernants profitent du 1er juillet pour glisser en douce quelques vilenies genre hausse du prix du gaz ou baisse du remboursement du Xanax. En haut lieu, on considère que le Français devient encore un peu plus crétin dès qu’arrivent les congés payés. Exit de Gaulle, adieu Jaurès : le vrai maître à penser de l’élite politique, c’est l’impayable groupe de variétoche Elégance et son tube de 1982 : Vacances, j’oublie tout.
Cette année, on innove : ni hausses ni baisses, ce sera sans doute pour le 1er août. Mais ne croyez pas qu’on vous a oublié pour autant. À preuve la circulaire en vigueur dès le début du mois, qui bannit la cigarette électronique sur les lieux de travail. Elle est bien sûr signée par Marisol Touraine, dont on dit qu’elle déteste tellement la clope qu’aucun membre de son cabinet n’ose fumer au bureau, ce qui fait de son ministère une exception française.
Cette décision, nous dit toute la presse, a été prise dans le cadre du plan antitabac. Il aura donc échappé à la plupart de mes confrères que la spécificité d’une e-cigarette, c’est qu’elle contient environ 0,0 % de tabac. Et qu’elle est notamment utilisée par des gens qui veulent se désaccoutumer du tabac, ou encore par des fumeurs soucieux de protéger du tabagisme passif leurs conjoints, collègues ou passagers BlaBlaCar. Raison pour laquelle le professeur Bertrand Dautzenberg, pionnier du combat antitabac, est un infatigable défenseur de la cigarette électronique : « Un an de vapotage, dit-il, est moins dangereux qu’un seul jour de tabac. » J’aurais tendance à croire que ce pneumologue sait de quoi il parle. Certains semblent penser qu’il est incompétent.
Prohiber un produit antitabac dans le cadre d’un plan antitabac, voilà qui peut paraître étrange ? Eh bien ça, Marisol Touraine l’a expliqué cash sur France Inter : « La priorité pour moi, c’est d’éviter que le geste de fumer soit banalisé, considéré comme un geste de séduction, d’appartenance à un groupe. »
Je pourrais m’amuser de cette prétention pseudo-psychanalytique à vouloir légiférer sur le symbolique, oui, oui, je pourrais le faire, et avec brio, si seulement j’étais Philippe Muray. Je pourrais, plus prosaïquement, remarquer que le geste du vapoteur en action est abominablement pataud, et qu’il évoque plus le nourrisson en pleine tétée que Bogart dans Le Faucon maltais. Mais bon, qui suis-je pour juger des critères de séduction d’un ministre en exercice ?
En revanche je peux vous dire à quoi nous renvoie cette vision du monde : à l’époque de l’huile de foie de morue et des préceptes de grands-mères qui étaient convaincues que plus c’est mauvais, meilleur c’est pour la santé. Marisol s’est contentée d’extrémiser cet adage archaïque mais modernocompatible, car dénué de bon sens. Pour notre ministre, si c’est bon pour le moral, c’est forcément mauvais pour la santé. Voilà pourquoi vous ne vapoterez plus au bureau.
Voilà pourquoi, à partir du 1er juillet, vous aurez droit à une amende salée si un gendarme vous surprend en pleine commission d’un acte sexuel en voiture. La prohibition des gâteries automobiles n’a rien à voir avec le plan antitabac, quoi que puisse suggérer un jeu de mots trop facile. Non, cette interdiction a été décidée au titre des mesures pour la sécurité routière, et l’infraction vous coûtera 75 euros, même si votre auto était à l’arrêt. Streng verboten aussi l’acte inqualifiable qui consiste à se remaquiller lors de l’arrêt à un feu rouge, ou de profiter d’un bouchon sur l’autoroute pour croquer dans son sandwich.
Le 1er juillet, c’est comme le 1er avril, mais en vrai.
Cet article disponible en accès libre est extrait de Causeur n°26.
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