Si j’ai bien compris, j’ai le choix entre « criminelle » et « grande malade ». Depuis l’affaire Thévenoud, je rase les murs. Tout de même, ce n’est pas rien, le président a dit que je devrais être inéligible, et qu’il en toucherait un mot à sa « Hautoto sur la Transparence ». Heureusement, je n’avais pas prévu de me présenter à une élection. N’empêche, 300 journalistes ont entendu sans broncher François Hollande proclamer que les gens qui n’étaient pas à jour de leurs obligations financières étaient la lie de la société, qu’ils n’étaient pas dignes de la République. Je dois dire que je me suis sentie visée, je ne devais pas être la seule. J’ai tenté de récapituler mentalement les factures en retard, les prélèvements refusés, les chèques en attente d’envoi – c’est qu’on trouve de moins en moins de timbres dans les bureaux de tabac. Je me suis souvenue que, dans le dossier Thévenoud, un médecin très à cheval sur la trésorerie se plaignait dans un grand journal d’avoir une facture en souffrance. Oublier de payer le kiné de sa fille, quel infamie ! On commence comme ça et on finit par mentir sur sa licence de sociologie.[access capability= »lire_inedits »]
J’ai vite renoncé à tout calcul. Je sais que les gens raisonnables, ceux qui n’appartiennent pas à la grande famille des cigales – pour être aimable et dénué de connotation médicale –, ne comprennent pas qu’on ignore le solde de son compte bancaire. C’est que, par définition, la situation financière du retardataire fluctue sans cesse, puisqu’il s’épuise à gagner l’argent qu’il a déjà dépensé, colmatant les brèches quand il peut. Quand il a tant procrastiné qu’il est trop tard pour envoyer sa déclaration de revenus, même avec les 10 % d’usage, il sait qu’il sera taxé d’office mais se dit qu’il trouvera une solution d’ici là. Ce rapport irrationnel au monde matériel se paie souvent de pas mal d’angoisses et d’intérêts joufflus. Le mauvais payeur finit toujours par payer, et au prix fort. Le fraudeur vous vole, chers concitoyens, mais nous, nous vous empruntons de l’argent et pas au taux du marché.
Il n’y a aucune fierté à tirer du fait d’être un piètre gestionnaire. J’ignorais jusque-là qu’il fallût en avoir honte – disons que cela ne me semble pas la plus grave des défaillances humaines. Dans le cas de Thévenoud, on ne saurait exclure d’emblée la dimension pathologique qu’il a lui-même invoquée (rassurez-vous, mon cas est beaucoup moins grave). De telles dispositions ne prédisposent peut-être pas à la gestion d’une administration ou d’une entreprise, et Thévenoud, comme on l’a dit abondamment, aurait dû le comprendre. Il aurait surtout dû comprendre que, sous l’impitoyable régime de la transparence qu’il a contribué à instaurer, personne n’est innocent. La véritable faute de Thomas Thévenoud, c’est son pharisianisme. À moins qu’il ne soit, pour le coup, complètement à l’ouest, ses imprécations contre Cahuzac font penser à madame Claude lapidant Marie-Madeleine.
Reste que Cahuzac et Thévenoud, ce n’est pas la même chose. Le premier est passible des tribunaux, l’autre pas. Alors, quand le président dénonce publiquement comme un crime moral ce que la loi ne qualifie même pas de délit, quand le Premier ministre affirme qu’il ne comptera pas sa voix lors du vote de confiance, comme si elle allait le souiller, oui, j’ai un peu la frousse. Faudra-t-il écarter de toute responsabilité publique les désorganisés, les insouciants, les fumistes, les gens un peu déglingués, les équilibristes, les rêveurs, au profit exclusif de ceux qui sont dans les clous ? En somme, en France, on peut être ministre en étant stupide, cynique, opportuniste, déloyal, inculte. Tout pour peu qu’on ne rigole pas avec l’argent. Il fallait bien que la gauche du mariage pour tous finisse par (ré)inventer la République des bons pères de famille.[/access]
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