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Après l’Empire


Après l’Empire

« Qui se souviendra des hommes ? », se demandait Jean Raspail. Les historiens − on ne peut pas leur en vouloir − rendent compte des batailles et des grands hommes, décryptent des tendances lourdes et abstraites. Grâce à eux, on comprend parfois mais on ne sent jamais. Se souvenir des hommes, seuls les écrivains, les romanciers, peuvent s’y risquer. Pour faire non pas des romans « historiques » mais des romans qui incarnent l’Histoire à travers quelques personnages, souvent oubliés des manuels − personnages qui font l’amour, saignent, prient, meurent devant nos yeux.
Dans L’Écriture du monde, Taillandier cherche à saisir ce qui a fait la naissance de l’Occident, ce qui fonde son identité. Ce n’est pas évident : les siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain sont souvent appelés obscurs. Ils étaient pourtant peuplés de figures lumineuses d’érudits dévoués au bien commun : pères de l’Église essayant de mieux tracer les contours de la figure de Dieu pour mieux tracer celles des hommes, rois que l’on appelait « barbares » et qui, pourtant, comme Théodoric en Italie, paraissaient bien plus civilisés que les maîtres de Byzance.
Taillandier a choisi trois grands seconds rôles pour illustrer ce temps plein de métamorphoses violentes et incertaines. Il y a d’abord Cassiodore, un Romain qui sait que Rome n’existe plus mais qu’elle reste une donnée spirituelle de l’Histoire. Il conseille Théodoric, il comprend quel jeu serré il faut jouer entre les différents rois barbares, les tenants de la vieille Rome, les Byzantins. Il comprend aussi que le christianisme peut être le ciment de cette civilisation fragmentée à condition qu’il ne cherche pas à éradiquer tout ce qui l’a précédé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est aussi ce que pensera le jeune Léandre en visitant, après la mort de Cassiodore, le monastère créé par ce dernier où l’on fabrique, recopie et conserve les livres alors que, dehors, les temps sont redevenus confus. Il y a enfin la belle figure de Théolinda. Elle se regardait nue à 12 ans dans les miroirs avant de tracer les propres lignes de son destin de princesse germanique. Elle va inventer une nouvelle géopolitique en refusant un mariage pour épouser un roi lombard qui terrorise le Nord de l’Italie : « Les Gaules étaient franques, l’Espagne wisigothe : l’Italie deviendrait la gloire des Lombards. Elle s’étonnait que de telles idées puissent se former en elle, à qui personne n’avait songé à enseigner l’art du gouvernement. »
Dans La Grande Intrigue, son précédent cycle romanesque, Taillandier racontait la dissolution de l’Occident dans ce qu’il appelait l’Option Paradis. Assez logiquement, après avoir autopsié le cadavre, il nous invite, dans ce premier volume d’un autre cycle, à assister aux premiers pas du nouveau-né. C’est tout aussi ambitieux et réussi. Même si on connaît la fin.[/access]

L’Écriture du monde, François Taillandier (Stock).

*Photo: Le sac de Rome par les Barbares en 410. Joseph-Noël Sylvestre, 1890.

Juin 2013 #3

Article extrait du Magazine Causeur



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