La sortie du film Les Heures sombres consacré au Churchill des mois de mai et juin 1940 a provoqué un peu d’agitation dans le mainstream intellectuel français. Le Monde et Télérama en tête ont pincé le nez devant « ce film raté » et ce « navet hagiographique et patriotique ». Jean-Paul Brighelli, et d’autres avec lui, ont vu dans ces réactions une forme de rejet primaire. Je crois qu’ils ont tort, ceux qui se proclament les élites ont parfaitement vu le danger et analysé la force politique de l’œuvre.
« Nous ne nous rendrons jamais »
Grâce à la VOD (vidéo à la demande), la trêve des confiseurs m’a permis d’éponger un peu mon retard et c’est ainsi que j’ai téléchargé (légalement), Dunkerque, le film de Christopher Nolan sorti au début de l’été dernier. J’étais un peu méfiant à cause des commentaires de mes chers amis les historiens militaires qui sont tous de grands malades. Ça râlait ferme au sein de la secte, à cause de l’absence totale des Français dans le film, qui faisait effectivement l’impasse sur leur résistance qui avait considérablement aidé à l’évacuation des troupes anglaises. Prévention infondée, le film est remarquable, et s’il développe le point de vue anglais au niveau de la troupe, les Français, quoiqu’indirectement, sont présents. Ne serait-ce qu’avec la réplique sublime de l’amiral britannique, joué par le non moins sublime Kenneth Branagh, qui, constatant son devoir accompli avec l’évacuation terminée sur son secteur et malgré la captivité qui l’attend, refuse d’embarquer en disant : « je reste pour les Français ». Ma fibre patriotique étant facile à solliciter, j’étais dans des dispositions particulièrement réceptives, quelques jours plus tard, en allant voir le Churchill de Joe Wright.
On rappellera bien sûr l’ahurissante performance de Gary Oldman capable de nous persuader que c’est bien Churchill qui joue son propre rôle ; la classe de la réalisation, qui mélange avec virtuosité, intimisme familier et solennité ; et la collection de morceaux de bravoure comme autant de friandises, dont le discours « we shall never surrender » aux communes. Qui donne envie de se lever et de chanter. Parce que rosbifs et grenouilles ensembles, nous savons bien que c’est le dernier qui chante qui a raison.
Alors, il ne faut pas bouder son plaisir, et suivre encore une fois l’homme au cigare quand il nous dit qu’il faut avoir des goûts simples et se contenter du meilleur.
Mais ce qu’il faut d’abord retenir de ce film, c’est son étonnante force politique. Au contraire de ce que raconte les commentaires mesquins des organes de la Doxa. Cette œuvre est certes hagiographique et patriotique, mais tout en finesse et contradictions.
Churchill, une leçon politique
La leçon politique est celle qui démontre subtilement pourquoi en juin 1940 la bourgeoisie et les élites françaises ont capitulé et trahi, et comment une partie de l’élite britannique, en résonance avec son peuple a fait le choix inverse, point de départ du chemin qui aboutira à aller, cinq ans plus tard, tuer la bête dans sa tanière.
La majorité au pouvoir en 1940 en Angleterre est celle des conservateurs qui, pour mener la guerre déclenchée par l’invasion allemande de la Pologne en septembre 1939, a maintenu sa confiance à Neville Chamberlain, pourtant l’homme de Munich et de la politique « d’apaisement » avec Hitler. Dans leur grande majorité, les conservateurs se défient de Churchill qui appartient certes à leur monde, mais leur apparaît comme un aventurier et un ivrogne. Ce qu’il est d’ailleurs probablement. C’est donc l’appui des travaillistes qui veulent un cabinet d’union nationale qui lui permet d’être désigné par le roi. Churchill est intronisé le 10 mai 1940, le jour du déclenchement de l’offensive allemande. Au bout de quelques jours, la défaite sur le continent est consommée. Les élites économiques et politiques anglaises sont terrorisées et persuadées que la défaite et l’invasion de leur île sont inévitables. Elles essaient compulsivement de convaincre Churchill de négocier et, à défaut, veulent le renverser en propulsant le défaitiste Hallifax pour sauver ce qui peut l’être. C’est-à-dire leurs intérêts étroits. Survivre en tant que caste au prix de la honte et de la servitude du plus grand nombre si nécessaire.
Reproches infondés
Churchill, quoiqu’il ait probablement eu des hésitations face à toutes ces pressions du milieu dont il est issu, résiste et refuse. Parmi les reproches grotesques faits au film il y en a deux qui montrent jusqu’où peut aller l’ignorance. D’abord celui qui prétend qu’il ne montre que les élites et que le peuple en est absent. Alors qu’on ne voit que lui, mais présenté avec intelligence et subtilité. Comme le plan, le même que dans Dunkerque, où l’on voit sur la Manche, l’immense flottille des vaisseaux civils venus chercher leurs soldats. Ou lors de la magnifique séquence du métro, brillante métaphore de la rencontre et de l’accord de cet homme avec son peuple. Il y fait d’ailleurs l’aveu « qu’il a la larme facile », ce qui m’a permis de constater que j’étais quelqu’un dans le genre de Churchill…
L’autre reproche fait au film est que son portrait n’en montrerait pas les failles. Pauvres ignares obtus, on ne voit qu’elles ! Béantes. Comme lorsqu’il exprime à sa secrétaire son aversion pour Hitler, « ce tyran, ce voyou, cette brute… ce….ce… peintre en bâtiment… ». Le retour implacable, à ce moment précis, du mépris social qui vient quand même s’accrocher à l’amour de la liberté. Et la leçon politique est bien là, que donne le spectacle de cette élite britannique qui, brutalisée par l’un des siens et poussée par son peuple, refusera la capitulation et partant la trahison. Le fait que certains se soient sentis relativement protégés par un fossé antichar de 30 km de large ne change rien. Sans oublier que ce peuple britannique, qui avait fait confiance à l’aristocrate Churchill pour le conduire pendant la guerre, le congédiera dès la paix revenue.
La trahison des clercs obscurs
Que notre bourgeoisie et nos élites, qui pratiquent depuis si longtemps la culture de la soumission, détestent ce film, c’est tout à fait normal. Quatre présidents de la République successifs, le dernier, contre toute évidence politique et ne rechignant pas devant l’insulte, nous ont martelé que « Vichy c’était la France ». Proposition obscène nécessitée par la poursuite d’un projet européen sous domination allemande, et pour lequel, comme le dit très bien Bertrand Renouvin, fils de Compagnon de la Libération, on nous présente « des criminels vaincus érigés en victimes. Des vainqueurs désignés comme coupables ».
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La bourgeoisie et les élites françaises avaient fait dès 1938 le choix de la défaite. Quoiqu’excessive et un peu sotte, le slogan : « plutôt Hitler que le Front populaire » renvoyait à une réalité, dont on trouvera une expression déjà très claire dans L’étrange défaite de Marc Bloch. Ce choix débouchera sur la défaite militaire, la capitulation et la trahison. Les élites anglaises ont fait le contraire. Le 18 juin 1941, dans son discours du Caire, Charles De Gaulle, parlant des Français, nous dira en quatre phrases définitives qui étaient ces gens et ce qu’il s’était passé.
« Le 17 juin 1940, disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de la France. L’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamento de panique. Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l’usurpation en même temps qu’à la servitude. Un vieillard de 84 ans, triste enveloppe d’une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait. »
Depuis le départ de Charles de Gaulle, les élites françaises n’ont eu de cesse de se débarrasser de cette réalité pour elles insupportable. À coups de révisionnisme historique, de quolibets contre « le mensonge gaulliste, et le roman national », de déformations et d’oublis calculés, on a tenté de nous imposer l’image d’une France, pays vaincu et sans avenir, devant prendre modèle sur son voisin allemand si efficace.
« L’équipe mixte du défaitisme de la trahison »
Dans un livre remarqué, publié en 2012, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Alain Badiou avait parlé de « pétainisme transcendantal ». Beaucoup avaient fait semblant de le comprendre comme une comparaison de Sarkozy à Pétain. Ce qui était complètement faux. Il mettait, à sa façon souvent pénible, le doigt sur la réalité d’un trait de la bourgeoisie française capable de trahir pour la préservation de ses intérêts étroits : « disposition nationale ancienne, qui avait fait ses preuves en 1815 au moment de l’invasion étrangère et de la Restauration, et en 1870 au moment de l’invasion prussienne et de la capitulation des « républicains ». »
Le pétainisme, c’est donc « l’équipe mixte du défaitisme de la trahison ». Merci à nos amis « britishs » de nous avoir rappelé brillamment que, « transcendantale » ou pas, l’on n’était jamais obligé de s’y soumettre.
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