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Chroniques actuelles de tout et de rien


Chroniques actuelles de tout et de rien
L'historien Emmanuel de Waresquiel. © Hannah ASSOULINE

Le dernier ouvrage de l’historien, Emmanuel de Waresquiel, promène sur le monde contemporain un regard à la fois d’historien et d’esthète littéraire.


Comme on l’apprend dans les bonnes familles, la conversation doit aborder tous les sujets sans s’attarder sur un seul. Bien né, Emmanuel de Waresquiel sait causer et le fait savoir. Son dernier opus, Tout est calme, seules les imaginations travaillent, traite d’un objet moins bien défini que la manière d’en parler. Comment le décrire ? Ce sont des chroniques actuelles de tout et de rien. On savait l’auteur expert – de la restauration, de Fouché, de Talleyrand – on le retrouve aujourd’hui en observateur badin du XXIe s.

Ouvrage estival, le ton comme l’enchaînement des chapitres surprennent : au fil des pages, on passe des homards du diable de Monsieur de Rugy à la forêt et son exploitation sylvicole et idéologique. On parle de la rentrée et des vacances, du Brexit et du 18 juin et même de la couleur jaune et des fameux ronds-points… L’auteur part de faits bruts : des évènements souvent très contemporains ou simplement des mots que nous nous sommes habitués à employer à force d’usages publics et journalistiques. Lexicographe et analyste, Waresquiel tire aussitôt le fil de chacun d’eux pour en décrire la profondeur historique.

Les forêts, les homards, la dette des États

Métapolitiques d’abord, les homards de François de Rugy lui inspirent plusieurs remarques inactuelles : « à force de ne pas aimer nos représentants, on en a oublié qu’en France, la politique et la gastronomie ont toujours fait bon ménage » même s’il accable la défense ridicule et les manières de « Monsieur Prudhomme » du président démissionnaire de l’Assemblée Nationale. On saute du coq-au-vin à l’âne et l’auteur s’autorise quelques sujets graves : les guerres, « ces blessures nationales » ou encore des sujets prise de tête comme l’endettement des États européens dans lequel l’historien voit moins une donnée macroéconomique qu’un genre de folklore latin.

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Le trait littéraire est brossé, chaque chapitre tient en une dizaine de pages tout au plus d’où ressortent quelques fulgurances : « dis-moi quels sont les paysages que tu aimes et je te dirai qui tu es vraiment » écrit-il à propos des forêts dont il fait une histoire politique inattendue. Aujourd’hui fétiche de la gauche écologiste, elle fût jadis une zone à défendre de la réaction. Elle nous faisait un beau réservoir de gibier nobiliaire et romantique, honorée par Chateaubriand quand Danton voulait à toute force la défricher pour le pâturage « nous sommes tous de la conjuration contre les carpes et nous aimons mieux le règne des moutons ». Les amis de l’égalité poursuivaient « de leur haine toutes les futaies », ils parlent aujourd’hui de « poumon vert », s’indignent qu’on abatte un arbre et stigmatisent la surexploitation de la forêt par la finance verte.

Chercheur entre deux rives

Chercheur entre deux rives, littéraires et historiques, Waresquiel sait varier les registres. Surpris qu’un historien contemporain en ait, les journalistes disent de son style qu’il est « académique » ou « classique »… disons qu’il écrit et parle parfaitement français, ce qui en effet dépayse. Exégète des lieux communs à la manière de Léon Bloy quand il analyse les poncifs bourgeois du type « les extrêmes se touchent » à la lumière d’une comparaison stimulante entre la période prérévolutionnaire et le mouvement des Gilets jaunes ; il est aussi mythologue comme Barthes quand il révèle l’origine historique, et éclaire la partialité de jugements ou d’évènements devenus, à force d’habitude, des évidences pour le commun. Contrairement à Barthes, l’auteur n’est pas sémiologue : son temps reste celui de l’histoire cependant que la plénitude de son regard implique aussi son caractère esthétique et artistique.  Le désert français lui inspire des méditations sur l’enlaidissement national, relevées de vacheries sur le goût des élus locaux : « On n’en est plus au délicieux sous-préfet aux champs de Daudet. Vous vous souvenez, celui qui aimait faire des vers en écoutant les petits oiseaux. On en est au maire-amateur-d’art-contemporain qui l’assume sans complexe ».

La poussière de Proust

Singulier touriste. En vacances, quand le voyageur voit loisirs et confort à l’enseigne du gîte, lui pense « carton d’archives », « Je me retrouvais dans une grande villa en pierres meulières de la région parisienne, volets fermés et jardins clos, de ces villas un peu tristes tout droit sorties d’un roman de Modiano. C’est là que dormaient les comptes secrets de la police de Napoléon, dans les cartons en molesquine vertes éparpillés aux quatre coins de la maison.. » Et le métier convoque souvent l’affectif : « mes grandes émotions ont été celles de mes grandes découvertes, le plaisir immense de déchiffrer et de lire une lettre enfouie dans un carton, dans un grenier, comme si elle m’avait attendu depuis des siècles, comme si c’était la première fois, comme si l’encre du papier n’avait pas eu le temps de sécher ». La poussière du parchemin et autres plaisirs minuscules du quotidien… L’histoire a peut-être trouvé son Philippe Delerm à qui la poussière sert de madeleine de Proust.

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Témoignant d’une recherche d’un temps historique perdu, Waresquiel fend parfois l’armure. Au fil des pages, on se surprend à envier la France dont il est un des derniers témoins. Pour la décrire, la France de Waresquiel lit Stevenson à 8 ans, le Rivage des Syrtes à 17, comme Aldo flâne, médite et s’inquiète. Elle prépare aussi de beaux concours de la République dans des maisons de maître en pleine cambrousse, manifeste tant contre Savary et Devaquet pour le fun et s’abstrait – quand il le faut – de toute cohérence politique. Sans impudeur, le biographe de Talleyrand nous parle d’une douceur de vivre qui lui est propre. Superficiel par profondeur, son attention à une liberté française qui, de plus en plus nous file entre les doigts, est aussi mélancolique – et ses chapitres les plus politiques ne sont pas les plus optimistes. Il en ressort que les Français n’aiment pas beaucoup leur liberté… et que leur caractère sanguin les rend imperméables aux subtilités historiques que tisse l’auteur : « L’historien se méfie de cette manie qu’ont certains, par paresse, par ignorance ou parfois dans des intentions peu avouables, de tordre le passé pour le faire entrer à toute force dans le présent. C’est un peu comme si l’on voulait expliquer l’atome par la machine à vapeur. » Cette confession est presque testamentaire : l’auteur l’explicite autant qu’il illustre, l’histoire est une fragilité qui fut très lente à édifier et que l’inculture contemporaine mettra peu de temps à détruire.

Le dernier opus, Sept Jours s’offrait comme un beau champ d’investigation. Farfouillant la semaine du 17 au 23 juin 1789, celle qui vit les États généraux se proclamer Assemblée Nationale et usurper la souveraineté du roi, l’auteur ne négligeait aucun détail – s’il en est en histoire : les humeurs du roi, au plus près de son intimité, celle de la famille royale, les hésitations des Barnave, Necker, Mirabeau, les réactions versatiles des faubourgs ou des villes de province… Le tableau était complet, presque aussi chargé qu’une toile de David. Alors qu’on le retrouve ici en chroniqueur de l’ultracontemporain, ses observations de l’histoire révolutionnaire, comme celles du temps présent, souvent se recoupent. Tout est calme, seules les imaginations travaillent, mobilisent de nouveau les orateurs de la convention pour expliquer le caractère passionnel de notre vie politique :  « Ils sont, écrit encore Brissot à la fin de l’Ancien Régime, presque toujours ce que leurs livres les font ». Sans doute pour le meilleur et pour le pire – et si le lecteur veut s’en instruire, le présent livre offre aussi de saines leçons de vie.

Tout est calme, seules les imaginations travaillent: CHRONIQUES D'HISTOIRE

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Sept jours: 17-23 juin 1789 la France entre en révolution

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