Depuis le matin, télévisions et radios du pays diffusaient en boucle la 3e Symphonie de Brahms. Les commerces avaient laissé leurs stores baissés. Dans les parcs, les enfants ne se livraient à aucun jeu. Le regard aussi vide que leur verre, les piliers de bar s’éternisaient à leur table sans éprouver la moindre soif. On avait cessé d’enterrer les morts : à quoi bon, puisque ce monde était, peut-être, voué au néant ? Devant les cimetières, de longues files de corbillards mélancoliques attendaient. La mort était devenue maîtresse d’Allemagne.
Puis, sur les coups de 13 heures, on rangea Brahms, on sortit les enfants, la bière coula à flots dans les gorges dénouées et les parents des morts se mirent à danser sur les tombes. Angela Merkel avait parlé. Elle fut solennelle et aussi enjouée que peut l’être une fille de pasteur lorsqu’elle se brûle. C’est que l’heure était grave. L’Allemagne avait manqué perdre sa monnaie. L’affaire est encore assez présente dans les esprits pour que je me dispense de rappeler ce qui s’était produit en Europe au tout début de l’année 2011.
Le fait est que, lorsqu’Angela Merkel déclara que l’euro était sauvé, cela fut, à l’époque, un très grand soulagement. Certes, la France, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, l’Italie, la Finlande, la Belgique et quelques autres quittaient la zone euro. L’essentiel demeurait : l’Allemagne préservait sa monnaie unique, la Banque centrale européenne restait à Francfort et Jean-Claude Trichet, au prix de quelques cours intensifs au Goethe Institut, parlait allemand comme personne.
[access capability= »lire_inedits »]10 000 francs carbone pour un deutsche mark
Comme l’euro devait sa survie à l’Allemagne, chacun trouva normal que la Banque centrale européenne procède à quelques adaptations : on réimprima les billets et on frappa de nouvelles pièces à l’effigie de grands Européens : Bismarck, Adenauer, Kohl… Le nom « euro » ne tarda pas, lui-même, à être remplacé par le mot « deutsche mark ». Et tout alla pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce fut dans les autres pays, ces scélérats qui avaient renoncé à la monnaie unique, que les problèmes se posèrent.
Pendant quelques années, la France se déchira. On tergiversait sur la manière de faire : fallait-il, en quittant l’euro, revenir au nouveau franc ou aux anciens francs ? Ce n’est qu’au début du quatrième mandat de Nicolas Sarkozy que le problème fut définitivement réglé, lorsque son premier ministre, Dominique Strauss-Kahn, opta pour le franc germinal. Pas indexé sur l’or, mais sur le carbone. « C’est pour sauver la planète et c’est mieux que la taxe carbone », avait proclamé le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Jean-Louis Borloo.
Trois heures seulement après la création de la nouvelle monnaie, il fallait 10 000 francs carbone pour un deutsche mark. Et la catastrophe s’amplifia. Toujours animée d’un puissant sentiment européen, l’Allemagne se porta au secours de la France. Dans un premier temps, on racheta la Corse et on la transforma en nouvelles Baléares : langue allemande obligatoire, wienerschnitzel et bière à tous les repas, costume traditionnel bavarois pour les indigènes, etc. L’afflux massif de touristes allemands sur l’île de Beauté convainquit la République fédérale de faire l’acquisition de l’île de Ré. Puis, ce fut autour de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Provence, de la Bretagne, de Paris. La question aujourd’hui est de savoir si nous rachetons l’Auvergne. Pourquoi pas ? Personnellement, je n’ai rien contre. Mais je n’irai certainement pas passer mes vacances là-bas. Je me suis fâchée avec Willy : il voulait dépenser plus de 800 euros pour racheter Clermont-Ferrand et le Puy-de-Dôme ! Je n’ai rien contre. Mais quand même… Les Auvergnats ! Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes… [/access]
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