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Christopher Nolan, le cinéaste de la communion des saints

Timothée Gérardin décortique son oeuvre


Christopher Nolan, le cinéaste de la communion des saints
"Le Prestige", un film de Christopher Nolan.

En dix films, Christopher Nolan est parvenu à s’imposer comme l’une des valeurs sûres du cinéma américain. Son nom suffit désormais à déclencher des débats passionnés entre ses thuriféraires les plus acharnés et ses détracteurs qui lui reprochent une certaine pompe et ses récits alambiqués. Timothée Gérardin  fait bien entendu partie de la première catégorie mais l’un des premiers mérites de cet essai aussi stimulant que réussi, c’est d’éviter l’insupportable approche « geek » du cinéaste, celle qui s’extasie devant l’appareillage technologique déployé dans certains de ses films, notamment sa trilogie Batman, et qui s’esbaudit devant les paraboles politiques qu’ils sont censés recelés. Ce qui est d’ailleurs souvent fait à contresens puisque l’auteur montre ici de manière convaincante que la trilogie Batman est plutôt conservatrice.

Cinéaste du montage

Ce qui intéresse Timothée Gérardin, c’est plutôt de montrer où se situe l’humain au cœur d’un monde touché de plein fouet par le simulacre et où les frontières entre le Bien et le Mal s’estompent comme les liens entre le tueur et l’inspecteur d’Insomnia, le double visage d’Harvey Dent dans The Dark Knight : « Cinéaste du montage, Nolan est plus globalement un cinéaste de la construction trompeuse, du piège faussant la perception. Un sens du trompe-l’œil qui s’épanouit pleinement dans Inception, avec ses décors fabriqués qui menacent à tout moment de se révéler des vues de l’esprit. » écrit notamment à ce propos Timothée Gérardin.

Au-delà de ce goût pour les jeux de pistes pleins de chausse-trappes et un sens indéniable de la prestidigitation (qui s’épanouit dans ce qui reste, à mon sens, le meilleur film du cinéaste, à savoir Le Prestige), Gérardin montre que ses personnages vont à chaque fois chercher à renouer un rapport au monde et tenter de trouver un moyen de l’habiter. Un des passages les plus passionnants de cet essai est ce moment où l’auteur s’appuie sur les thèses de Walter Benjamin sur L’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité technique en montrant la dialectique à l’œuvre chez un Nolan jouant constamment sur les possibles offerts par les avancées technologiques tout en restant indéfectiblement attaché à une certaine idée de l’expérience « unique » de la salle de cinéma.

Contre le tout numérique, Nolan tourne encore en pellicule, adopte des formats (le 70 mm) en opposition avec les canons de la télévision et du petit écran : « tout se passe comme si l’attachement de Nolan à la pellicule illustrait, à l’image des personnages de ses films, la nécessité de conserver un rapport de première main avec les choses. »

L’ouvrage commence donc par s’appuyer sur les éléments qui semblent les plus évidents lorsqu’on songe à l’œuvre de Nolan : le règne de l’illusion, la multiplication des points de vue et leur éventuelle altération – l’amnésie du héros de Memento, les insomnies d’Al Pacino dans Insomnia….

Retour à l’humain

De manière très pertinente, Timothée Gérardin se penche sur la question de la subjectivité des personnages et de la multiplication des mondes qu’elle occasionne comme dans le récit gigogne d’Inception. Les pages qu’il consacre au rôle ambivalent des objets chez Nolan sont extrêmement bien vues puisque ceux-ci sont à la fois les derniers liens à une certaine matérialité du monde tout en menaçant à chaque instant, à l’image de la toupie d’Inception, de se changer en fétiches qui n’ont « de sens que celui que leur propriétaire veut bien leur donner ».

Dans la dernière partie du livre, l’auteur revient à l’humain, sur la possibilité malgré tout d’habiter un monde, même si c’est loin de la terre comme dans Interstellar,  et de partager des destins communs. Ce retour à « l’humain » s’exprime dans des fables politiques comme la trilogie Batman même si, pour ma part, je trouve que la dimension « spectaculaire » de ces films affaiblit la fin de Batman Begins, pourtant assez réussi, et me rend hermétique à The Dark Knight.

Il s’exprime également dans une certaine dimension mélodramatique que Timothée Gérardin met parfaitement en valeur, en s’appuyant notamment, avec une vraie érudition, sur la théorie de Joseph de Maistre de la « réversibilité des mérites », soulignant par là une certaine dimension  mystique  du cinéma de Nolan où certains personnages prennent en charge les péchés de l’humanité pour tenter de la racheter, qu’il s’agisse de Batman qui s’accuse à la place de Dent à la fin de The Dark Knight ou encore le héros d’Interstellar.

Cette quête d’un paradis perdu, pour Gérardin, est au cœur du cinéma de Nolan qu’on a très envie de redécouvrir à l’aune de cet essai enthousiasmant.

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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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