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Lettre à un père indigne

"Le Prince d'Aquitaine" de Christopher Gérard, une valeur sûre de la rentrée


Lettre à un père indigne
Christopher Gérard. ©CG

Au milieu de l’été, en avant-première, j’ai lu Le Prince d’Aquitaine, un soir de victoire des Bleus. Deux mois plus tard, je n’ai plus aucun souvenir des buts, de la pelouse russe, des embrassades exagérées et des klaxons dans la nuit moite. Par contre, le roman de Christopher Gérard, ses stigmates irréparables, cette amertume grise, cette meurtrissure qui fissure toujours et encore le cœur, m’ont accompagné durant toutes mes vacances. Il y a des romans qui s’effritent à la lumière du soleil, éphémères et agréables sur le moment, aussi vite engloutis dans les méandres de la mémoire. Et puis des textes qui inlassablement viennent cogner dans votre tête, écorcher votre peau, raviver de vieilles blessures.

Le visage de Nino Ferrer

Le staccato d’une douleur sourde, indélébile et sans rédemption. Cette enfance, cette jeunesse, cette vie en suspension à jamais souillée par les affres d’un père mouvant. En refermant ce livre d’à peine cent soixante pages, les visages de François Nourissier et de Nino Ferrer me sont apparus en filigrane. Comme si une filiation imaginaire s’inscrivait entre ces artistes, une sorte d’abandon élégant, un goût du raté et du pathétique qui viennent nourrir une œuvre à la mélancolie abrasive.

À Causeur, on connaît les qualités de plume de Christopher Gérard, l’auteur d’Aux Armes de Bruxelles, couronné par l’Académie royale de langue et de culture françaises de Belgique. Son style pénétrant, son érudition latine, ses vestes en tweed et ce détachement quasi-aristocratique en font un auteur précieux car inclassable. Ce qui frappe le lecteur, c’est le maintien, le souci de tout maîtriser, de ne surtout pas s’épancher, de laisser les déclarations impudiques aux romanciers guimauve, et cependant de tout dévoiler, de tout déballer avec une hargne contenue dans une langue sans afféterie.

La lente agonie de la bourgeoisie

Une maîtrise qui fascine dans une production générale largement relâchée. Sur cette ligne de crête si fragile et instable, Christopher Gérard réussit un numéro d’équilibriste qui fait de son roman paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux une valeur sûre de cette rentrée littéraire. Le Prince d’Aquitaine est une longue lettre déchirante, pleine de fiel et de désespoir à un père indigne. Un père sur lequel le fils, double de l’auteur, vient se fracasser telle une vague contre un rocher. La percussion est inévitable comme si l’échec de cette relation avait été programmé à la naissance. Une fatalité de sang dont il est impossible de se défaire. Fanfaron et misérable, absent et néfaste, porté sur la boisson et les décapotables, toujours en proie à une rage intérieure inaltérable, ce père ne fait pas que décevoir avec une permanence glaçante, il désespère par sa volonté farouche de briser son fils.

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L’enfant unique supporte, encaisse, déjoue, feinte, se rebelle, s’échappe en vain. Cette filiation, il ne peut s’en absoudre, il accepte alors ce chemin de croix. « En dépit de mes quatorze ans, je décodai sans peine l’avertissement : jamais, je ne disposerais du filet que, depuis toujours, Grand-Mère tendait sous tes pas de plus en plus maladroits. À moi, la chute serait interdite », écrit-il. « À la réflexion, j’étais alors, sans en avoir les moyens ni même la claire conscience, responsable de toi, et affolé à l’idée de ne pas être jugé suffisamment fiable », lance-t-il, dans un terrible aveu d’impuissance. Dans l’ombre de la Première Guerre mondiale, la commémoration du sacrifice des glorieux aînés, Christopher Gérard cherche des appuis pour se construire, pour consolider de si frêles assises. Ce roman déchirant est aussi celui du déclassement, de la lente agonie d’une bourgeoisie parvenue à son terme, des pensionnats froids, des fêtes des mères lugubres, des casernes et des psys, un délitement seulement éclairé par le ciel d’Ostende. Entre les huissiers et les déménagements, le garçon tente de faire face. Comment trouver sa voie dans ces culs-de-sac de l’existence ? Comment ne pas sombrer et ne pas perdre toute trace d’humanité ?  Le Prince d’Aquitaine nous guide à travers cette relation sans repentance possible.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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