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Christophe, le retour


Christophe, le retour

christophe paradis retrouve

Ils sont rares les artistes qui, en quelques années, sont passés allègrement du statut de pire ringard que la terre ait porté à celui de génie transcendantal en contact direct avec le cosmos.
Christophe avait un temps poussé très loin le bouchon du kitsch sociopathe : pochette signée Kiki Picasso en 1990, déclaration d’amour publique à la princesse Stéphanie de Monaco (« Allô Stéphanie ne raccroche pas je t’en prie« ), râteau public (« J’l’ai pas touchée, elle voulait pas« )… si Nabilla lit cette chronique (une chance sur trois cent mille milliards de neurones), elle s’interrogera sûrement : « Le mec la touche pas parce qu’elle veut pas ? Non mais allô quoi ! ».
En 1996, la publication de Bevilacqua, album en apesanteur sans tubes, a sauvé la carrière de notre Alan Vega national, le réhabilitant ad vitam æternam. La radicalité de la démarche a séduit la critique, avide de ruptures conceptuelles. Depuis, Christophe soigne son image d’esthète en quête d’ivresse des profondeurs cinématographiques et musicales. Il se voit comme « un metteur en scène qui ne fera jamais de films » et ne conçoit ses albums qu’avec des rushes électromagnétiques et de vertigineuses sueurs froides. L’exercice atteint les sommets avec Comm’si la terre penchait… (2001) et Aimer ce que nous sommes (2008), agrégats de brillances modales en taffetas, à la gélatine fragile.
Adopté par les figures internationales de la French Touch (Air, Sébastien Tellier, Daft Punk), Christophe refuse l’étiquette de chanteur et se revendique davantage comme un artisan, qui prépare sa palette musicale comme un peintre. Même les interviews de l’ex-yéyé s’inscrivent dans un processus esthétisant, s’appuyant sur une mise en scène en abyme (toujours en nocturne, avec éventuellement l’ajout d’une réverbération dans la voix). Chaque entrevue tourne ainsi à la performance artistique, comme un prolongement naturel de son œuvre, dont la nouvelle pièce, Paradis retrouvé, vient de paraître.
L’objet – « témoignage sonore des années 70/80 » – possède la particularité de compiler des « expérimentations musicales », autrement dit, des enregistrements non retenus par le passé. D’habitude, la divulgation officielle de maquettes et autres chutes de studio survient à titre posthume ou dans le cadre de rééditions attractives contenant de la matière inédite (Bonus), argument de poids pour les fans. Sortir un album de démos du vivant du créateur confine à la sacralisation de son œuvre, à la mythification du personnage, à son culte rayonnant avec son consentement bien légitime. Coup marketing machiavélique ? Christophe prétend avoir voulu rendre hommage à son ancien producteur Francis Dreyfus, qui avait eu l’idée de cette compilation « work in progress » avant de disparaître en 2010. Jean-Michel Jarre, autre poulain prestigieux de l’écurie Dreyfus, a rendu en 2011 un hommage similaire à son producteur historique, avec la publication de Essentials & Rarities. Dreyfus aurait-il soufflé la même idée à tous ses anciens protégés ?
Cependant, l’écoute de Paradis retrouvé laisse un goût amer : le sentiment d’inachevé ne s’accorde pas vraiment avec l’œuvre de Christophe, lui qui nous a tant habitués à un perfectionnisme viscéral ne laissant échapper aucune approximation, remettant sans cesse l’ouvrage sur l’établi, pendant des années. Christophe a beau aligner les références culturelles dans la plaquette promotionnel (Boulevard du crépuscule, Bogart, Suicide, Sissy Spacek, John Carpenter, Lennon, etc.) et nous parler d’art dans une rhétorique dadaïste, voire raëlienne (« je mélange synthé et piano, une espèce de collage qui fait que l’harmonie d’un instrument prend en compte celle de l’autre, il peut y avoir des frottements magiques, après tu ralentis les vitesses, après, c’est un art« ), ce Paradis retrouvé ne tient pas ses promesses d’éternité sur toute sa longueur.
À l’exception de quelques morceaux (dont L’italiano, pour son numéro de latin lover en mode pleureuse, et l’électro-bluesy Hommage à Jean-Michel Desjeunes), il manque à l’ensemble la dramaturgie impressionniste des paradis perdus et reperdus de Christophe.
On attendait l’exhumation de notes bleues, après les spleenétiques Mots bleus, on a droit à un mausolée resté en friche, sans supplément d’âme.

Paradis retrouvé, Christophe.



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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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