Le chanteur Christophe est mort du coronavirus
Écrire en pleurant sur le dernier des Bevilacqua, le petit rital de Juvisy-sur-Orge où il est né le 13 octobre 1945 et qu’il restera toute sa vie. J’espère être à la hauteur. Beaucoup de choses ont déjà été dites cette nuit dans les (bonnes) nécros qui fleurissent, alors essayons d’être singulière pour rendre hommage au plus singulier des chanteurs français. En réanimation depuis le 26 mars, Christophe n’aura pas résisté au Covid-19. Lui qui se définissait comme « un autodidacte de la vie » – quelle jolie expression -, n’a pas trouvé le mode d’emploi pour terrasser le maudit virus.
Un chanteur si singulier
Je vais donc essayer d’évoquer mon Daniel Bevilacqua à moi. Il avait pris pour pseudonyme et nom de scène Christophe, car sa grand-mère lui avait offert une médaille du saint patron des voyageurs, lui qui jouait sa vie lorsqu’il conduisait ses bolides à la James Dean. Il faut croire que Saint Christophe veillait effectivement sur lui car on finit par lui retirer son permis. Il s’est vengé en composant la musique de The sunny road to Salina, un film de Georges Lautner de 1970.
J’avais six ans en 1974, lorsque j’ai découvert Señorita chez Danielle Gilbert. Je m’en souviens presque comme si c’était hier, j’étais fascinée, je ne comprenais pas grand-chose au texte mais « remets ta robe de taffetas » ça me faisait rêver. J’ai appris plus tard que le riff de guitare était glam, clin d’œil peut-être à Marc Bolan qui trouva la mort en 1974 dans un accident de voiture. Hasard objectif aurait dit André Breton[tooltips content= »Marc Bolan est le symbole du glam rock, très populaire en Angleterre dans les années 70, Senorita s’en inspire. Bolan est mort dans un spectaculaire accident de voiture en 74, année où le titre est sorti »](1)[/tooltips]
Dandy ?
Dandy lit-on partout. Oui, mais dandy « au style différent de tous les autres », comme il le chante dans Succès Fou. Son style était en effet absolument inédit, mélange de garçon coiffeur et de Brummel moderne magnifié par sa présence, sa grâce naturelle et un peu brute.
Les références aux vêtements sont omniprésentes dans ses chansons. Le « smocking de soie rose » du dandy maudit des Paradis Perdus qui déambule dans « ce monde qui s’effondre ». Le revers de son smocking blanc cassé de « La dolce Vita », son Italie cinématographique et fantasmée.
Artisan du son et oiseau de nuit
L’Italie, il l’évoquera dans sa chanson la plus personnelle et autobiographique « Le dernier des Bevilacqua » en 1974. Juvisy-sur-Orge devient alors le temps d’une chanson les faubourgs de Rome, mais comme dans un Rome pasolinien, à Juvisy aussi « il faut être un homme », il raconte sa vie de joueur, de tête brulée de la chanson où « les soirées de gala sont un peu tragiques quelquefois ». Le petit banlieusard côtoie le chanteur lumineux: « J’ai bientôt 30 ans et je peux faire la musique que j’aime ». La musique qu’il aime c’est cette obsession des sons. Il ne se considérait pas comme chanteur mais comme artisan du son, il composait ses chansons comme un canevas sonore. Il considérait chacun de ses morceaux comme des courts métrages devant se plier aux sons qu’il mettra des nuits à imaginer.
Il avait inversé le cours du temps pour vivre la nuit, selon la légende. « J’aime bien traîner, composer, rêver, je réfléchis aussi la nuit ».
Dans les années 90, il quitte définitivement ses oripeaux de chanteur à minettes que les journalistes et une partie du public lui avaient fait endosser. Il n’est plus l’interprète d’Aline, son tube providentiel et maudit, et devient ce chanteur presque élitiste célébré par les Inrocks, qui comme d’habitude n’ont rien compris. Avec le sublime album Bevilacqua sorti en 1996, Christophe est simplement devenu lui-même. Le voyou amateur de bagnoles et le magicien des sons, qui me font presque penser au Rimbaud de Voyelles.
Un faiseur d’atmosphères
Il rend hommage à Enzo Ferrari « Il re del’automobile » qu’il chante en italien forcément. Les sublimes morceaux « Le tourne cœur » ou « Je l’aime à l’envers « sont des condensés de ses talents de faiseur d’atmosphères, morceaux servis par des textes de pure poésie : « Je sais quelque chose contre un jour maudit comme un lundi entre la rose ou le poignard ». « Le cuir noir protège du désespoir ». En amoureuse des mots, je fus terrassée. Ces mots bleus-là ne me quitteront jamais. L’album se clôture par un très court morceau, comme une confession: « Je cherche toujours ». Il a trouvé.
Je termine cette chronique, comme je l’ai commencée. En larmes.
Ses mots bleus, pour toujours.
Hommage à #Christophe avec un @Taratata spécial, ce soir à 22h50. pic.twitter.com/XLlunFppCs
— France 2 (@France2tv) April 17, 2020
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