Christophe Guilluy est géographe social. On lui doit des essais remarqués sur les inégalités sociales, économiques et culturelles entre les territoires de l’Hexagone. Son dernier ouvrage, Fractures françaises, (François Bourin éditeur, 2010) analyse notamment l’« insécurité culturelle » qu’engendre la cohabitation entre différentes populations au sein d’un même territoire.
Daoud Boughezala. Les partisans du mariage gay répètent inlassablement que cette mesure était l’un des engagements du candidat socialiste. Avez-vous mesuré le niveau d’adhésion de l’électorat de second tour de François Hollande au « mariage pour tous » ?
Christophe Guilluy. C’est de la pure rhétorique. Ce n’est pas sur cette thématique, mais sur le rejet de Sarkozy que François Hollande a rassemblé une majorité de Français. Il faut cependant rappeler que 93 % des musulmans, qui sont massivement opposés au mariage gay, ont voté Hollande ! Cela dit, plutôt que de battre le pavé dans le Marais, les organisateurs de la Gay Pride feraient bien de la délocaliser dans le « 9-3 » avec un départ à Montfermeil et le tour de la Seine-Saint-Denis. Juste pour voir ce qu’est l’homophobie dans la vraie vie !
Mais Hollande ne doit pas son élection au vote musulman…
On peut compléter cette analyse avec le cas des DOM-TOM qui, comme les banlieues, ont plébiscité Hollande par anti-sarkozysme, l’ancien président étant perçu comme le candidat raciste des « petits Blancs ». Or, ces territoires, très catholiques, ont connu une forte mobilisation contre le mariage gay, notamment en Guyane et à La Réunion.[access capability= »lire_inedits »]
Les couches de la population favorables aux réformes sociétales sont-elles les mêmes que celles qui vivent à l’abri de frontières culturelles invisibles ?
Les soutiens de gauche au « mariage pour tous » se concentrent dans les seules métropoles. Ce sont majoritairement des membres des catégories socio-professionnelles supérieures et des « bobos ».
La mobilisation des anti-mariage est-elle le baroud d’honneur de la France catholique ?
La perte de vitesse de la France catholique n’est pas contestable. Du reste, les catholiques pratiquants ne représentent plus que 4 % de la population. En revanche, le sentiment d’appartenance culturelle à un pays de culture chrétienne reste incontestablement important. Derrière la mobilisation des catholiques, c’est donc d’abord la question identitaire qui est en jeu. Les catholiques pratiquants se sentent mis en minorité culturelle, un sentiment aggravé par l’effet-miroir avec un islam en pleine expansion dans l’Hexagone.
Cette France catholique correspond-elle peu ou prou aux habitants des zones rurales et périurbaines dont vous décriviez le déclassement dans Fractures françaises ?
Je ne peux pas dire cela. Les bastions catholiques sont toujours les régions de l’Ouest et de l’Est, où l’on trouve en effet certaines zones rurales. Mais je crois que la « Manif pour tous » du 13 janvier a essentiellement mobilisé la France bourgeoise et urbaine, notamment celle de l’Ouest parisien. Les provinciaux qui y étaient présents avaient globalement le même profil : bourgeois catholiques venant des métropoles lilloise, lyonnaise, rennaise etc. Frigide Barjot est la caricature de l’urbaine branchée, bien plus que la représentante de la France populaire et périphérique ! En grossissant le trait, on peut dire que le débat sur le mariage homosexuel oppose les deux bourgeoisies des métropoles : bobos contre cathos…
Ainsi, il existerait un « peuple de droite » arc-bouté sur la défense des valeurs conservatrices et opposé au « peuple de gauche » acquis au progrès…
Non, il n’y a ni « peuple de droite » ni « peuple de gauche ». On assiste, notamment en milieu populaire, à une forme de désaffiliation politique et à l’émergence d’une contre-société où les gens se déterminent non pas à partir du clivage gauche-droite, mais en fonction des effets « dans la vie réelle » de choix politiques concrets. Ce qui différencie les gens n’est pas tant la couleur politique que la possibilité d’ériger des frontières invisibles. Les « moyens de la frontière », voilà donc le vrai critère clivant, et non le clivage gauche/droite.
Après trente ans de précarisation sociale, les classes populaires ne croient plus au « progrès social ». Même si la « gauche » cherche à faire perdurer le mythe par des réformes sociétales, permettant à la « droite » de se poser en défenseur des traditions, ce qui se joue sur le continuum socio-culturel de la France périphérique est bien plus important. Les classes populaires peuvent ainsi être très critiques sur des choix économiques et sociétaux qui bouleversent leur réalité quotidienne (mondialisation, immigration, multiculturalisme) tout en cultivant bienveillance ou indifférence sur la question du mariage homosexuel.
Un récent sondage Ipsos-Le Monde établit que 46 % des Français seraient « crispés » ou « populistes » et que 74 % des gens jugent l’islam incompatible avec la société française. La perception d’une « insécurité culturelle » est-elle l’apanage de la droite ?
L’enquête Ipsos que vous citez montre également qu’une partie de la gauche est, elle aussi, très perméable à la question identitaire. En dépit du discours de Mélenchon sur la question, 46 % des sympathisants du Front de gauche pensent qu’« il y a trop d’étrangers en France », 70 % de ces mêmes sympathisants jugent qu’on peut « trouver de la main d’œuvre en France sans recourir à l’immigration ». Ajoutons que 79 % des sympathisants du Front de gauche et 65 % de ceux du PS estiment que « la religion musulmane cherche à imposer son mode de fonctionnement ». C’est sûrement cela, le « populisme de gauche » ![/access]
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