Dans La France goy, Christophe Donner nous propose un voyage électrique dans le XIXe siècle, où l’antisémitisme est très présent en France. Si les portraits de figures historiques obsédées par la « question juive » sont plaisants à lire, il est regrettable que certains personnages soient un peu caricaturés et que la promotion autour de la sortie du livre accable Eric Zemmour en le présentant en héritier de Drumont.
C’est une malédiction. On m’avait pourtant prévenu. Rien à faire, Zemmour se glisse partout. Déjà il y a quelques semaines, j’avais ce papier en tête. A la rédaction de Causeur que je visitais pour la première fois, pleine de visages sympathiques et un peu canailles, j’avais annoncé mon souhait de chroniquer le livre de Christophe Donner, La France goy. Tout était là : l’antisémitisme en France à la fin du XIXe siècle, la figure imposante et barbue d’Edouard Drumont, l’Affaire Dreyfus, Clémenceau et Gambetta, la famille Daudet, l’ombre colossale de Victor Hugo, cette Belle Epoque et ses polémiques journalières. Et puis, patatras ! Il a fallu que j’allume la radio. J’aurais dû m’en douter : dès que j’allume cet engin, ma mauvaise humeur se pointe. Pas raté. Un peu par hasard et par habitude, je tombe sur « Le Masque et la Plume ». On parle livres. Autant les critiques de cinéma, même lorsque je suis en désaccord avec eux, restent drôles et pétillants ; autant ceux qui jugent les livres me désespèrent, m’agacent.
Un titre en miroir de La France juive d’Edouard Drumont
Une fois n’est pas coutume. Tous s’accordent à dire que « ce livre résonne parfaitement bien avec notre présent ». Traduire : Eric Zemmour est l’Edouard Drumont nouveau. Que ce dernier soit la quintessence de l’antisémitisme et le premier un juif n’a pas d’importance : ils sont la Haine. Que Drumont soit un énergumène cabotin à la physionomie rabelaisienne, un duelliste brutal, un bagarreur sans manières, une sorte de paysan flamand à la large rudesse, un titan au rire malfaisant ne change rien : il est l’aïeul de notre « polémiste d’extrême-droite ». Qu’ont-ils trouvé de mieux pour comparer l’antisémite Drumont ? Un juif ! Bah voyons. L’auteur, finaliste du Prix Littéraire des Inrocks, s’y est mis lui aussi. Dans un entretien récent, Christophe Donner s’est « payé Eric Zemmour ». On peut se demander si l’idéologie n’a pas rendu historiquement myope l’auteur de La France goy.
A lire aussi, Pierre Ménard: “Le Juif incarne tout ce que les Goncourt abhorrent”
La France goy, c’est le titre de ce feuilleton historique. Titre en miroir de La France juive d’Edouard Drumont qui fut un immense succès à sa sortie en 1886. Avec cet essai-pamphlet, il fonde en quelque sorte l’antisémitisme moderne. Anticapitaliste et antilibéral, cet antisémitisme naît dans un milieu interlope fait de socialistes délirants, d’anarchistes satiriques et de catholiques nationalistes. Le Juif devient pour eux le symbole de la modernité cosmopolite, des forces occultes de la finance internationale et de l’anti-France. Christophe Donner nous introduit dans ce monde par le biais de son arrière-grand-père, Henri Gosset. A travers le récit et les extraits de lettres de celui-ci, nous traversons le Paris de l’époque plein d’un exotisme à la fois trouble et séduisant, où l’on se bat en duel à l’épée pour défendre son honneur, où Zola, les Goncourt, Barrès et Anatole France mangent à la même table et où les vertes absinthes détraquent la bohème du Quartier Latin et de Montmartre.
Drumont, mentor de Léon Daudet
Henri Gosset est arrivé à Paris à seize ans, étant originaire de Cateau près de Cambrai. De fil en aiguille, il rencontre Léon Daudet. Le futur Gros-Léon, fils d’Alphonse Daudet, l’écrivain du Petit Chose, est encore svelte mais déjà prodigieusement talentueux. Ses outrances, sa passion ardente pour la littérature, la politique, l’histoire et la médecine charment le jeune Gosset. Depuis son plus jeune âge, Léon Daudet a un mentor, c’est Edouard Drumont, le pape de la presse antisémite. Le lien est fait. C’est alors ainsi que se succède et se mêle l’histoire personnelle d’Henri Gosset à l’histoire nationale de cette France marquée par le socialisme, l’antisémitisme, le syndicalisme, l’anarchisme et autres idéalismes et occultismes dont Philippe Muray a fait la radiographie dans son XIXe siècle à travers les âges. Dans ce récit vif et pétillant fait de dizaines d’anecdotes truculentes ingénieusement disposées dans des chapitres courts, on passe d’un combat au fleuret à l’Affaire Dreyfus, des attentats anarchistes et de la condamnation de Ravachol à la mort pathétique du général Boulanger, des débuts de l’Action Française à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche. Le style est ironique et percutant ; le voyage à travers ce siècle électrique, jamais ennuyeux.
A lire aussi, Pascal Louvrier: Chalandon: le père faussaire
On regrettera – à l’inverse de certains critiques du Masque – que ces personnages soient souvent caricaturés par leurs vices, leurs défauts, leurs haines, leurs petitesses. Ils en auraient été que plus vivants en leur accordant certains traits positifs. Leur cruauté n’en aurait été que plus palpable. Sans cela, ils deviennent des personnages de bande-dessinée, des méchants de papier à la façon d’un général Alcazar ou d’un Rastapopoulos. Il n’est pas impossible qu’un antisémite abominable caresse la tête d’un enfant, s’attendrisse au bras d’une femme ou devienne sympathique au milieu de ses amis. Sans doute les auteurs craignent-ils d’être montrés du doigt en se souciant de dépeindre un être dans sa totalité ; sans doute leurs éditeurs ont-ils choisi de ne pas déranger la sensibilité enfantine des lecteurs contemporains ; sans doute aussi que la littérature, dans ces conditions, y perd de sa force.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !