Tant de liberté chez cet artiste. Christophe, qui nous a quittés jeudi 16 avril 2020, nous laissera le souvenir d’un homme qui n’avait cure du qu’en-dira-t-on.
Lors de notre entretien publié en décembre dans le numéro 57 du mensuel Le Regard Libre, il m’avait dévoilé quelques paroles de chansons à paraître. « Pas dégueu », de sa propre formule. Hommage.
Christophe est parti jeudi soir dernier et cette fatalité ne nous surprend pas tant que ça – l’homme avait un mode de vie rock’ n’roll – tout en nous laissant coi. Certes, il y a Les mots bleus, monument de la variété française issu d’un album éponyme dont nul ne peut prétendre connaître les cinquante nuances de génie. Mais il y a aussi tout le reste de son œuvre, fait de paradis perdus – et comment, quand on les compare à ce qui sort majoritairement au sein de la musique actuelle.
Il y a surtout le personnage : un dandy complétement décalé, oiseau de nuit, qui la vit et la voit plus sombre encore qu’elle ne l’est, à travers le filtre de ses lunettes. Un matin de fin 2019, à 22h30, je l’ai interviewé à la sortie de son concert donné à Morges, en Suisse. Nous étions dans sa loge, il prenait son petit-déjeuner : une sorte de café goutte à l’américaine, qui succédait au verre de whisky dégusté sur scène entre les chansons.
Pour moi, Christophe, c’était ça. Une liqueur de liberté. Tous ceux qui l’ont bien connu le confirment. Ce n’est pas pour rien que le beau bizarre adorait rouler, et rouler vite. Le temps s’écoule à toute allure pour les épris de liberté. La bagnole symbolise cette philosophie de vie. Et embarque avec elle une époque qui n’est plus, à part dans la tête de quelques-uns : nous autres, les nostalgiques de la liberté, c’est-à-dire du futur.
Lors de notre entretien qui a duré bien plus long que prévu, comme son concert (2h45 au lieu de 1h30), le chanteur m’a montré des suites de mots alignés sur les notes de son iPhone, qui n’en finissait pas de gazouiller. Des textes qu’il a écrits lui-même au gré des inspirations, parfois repris des SMS qu’il envoyait ou recevait, et qui peut-être se retrouveraient d’une manière ou d’une autre sur les chansons de son prochain album.
« Je suis sur des nouveaux trucs qui, comment dire, ne sont pas trop dégueu’. Et surtout, qui sont radicalement différents de ce que j’ai pu sortir avec Les Vestiges du Chaos. […] Je veux sortir un album de dix chansons au maximum, et j’en ai déjà six qui sont en création et qui sont plutôt pas mal. »
Douleur à la lecture de ces phrases. Regret de ne peut-être jamais pouvoir écouter ce qui allait être un nouvel album de titres inédits. Ils étaient si bizarrement beaux, les Océan d’amour, Lou et Drone de 2016. Radicalement différents des vieux succès, mais ayant en commun la recherche sonore, cette obsession de Christophe. Aujourd’hui, ses mots à Elsa dans La dolce vita sont les miens et lui sont directement adressés :
« Elsa, Elsa
Je ne t’oublie pas
Elsa
Pourquoi es-tu partie ?
Je n’ai rien compris ! »
Et je ne t’oublierai pas pour une raison très simple : encore maintenant, je n’ai « rien compris » à ton œuvre. Si riche que tout est encore à découvrir. Si simple qu’elle est de l’ordre du fondamental, du premier, de l’inaccessible. Adieu, Daniel Bevilacqua. Nous sommes nombreux à avoir des bleus à l’âme, mais ton âme et tes mots sont éternels. Et désormais sereins.
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