Une rencontre, à Gordes. Pascal Louvrier se souvient.
Je ne parlerai pas de Christophe enchanteur de nos nuits de débine, de son génie de compositeur, de cette façon inimitable de mettre en scène ses plus beaux textes. Je voudrais me souvenir d’un concert en plein air, l’été à Gordes, dans la chaleur du crépuscule grandiose.
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Christophe a chanté pendant trois heures. Entre deux chansons, il a pris un tabouret, s’est assis et a bu un whisky. Il a parlé de tout, de rien, du miel qu’il achetait chez des potes, des gens simples, vrais, authentiques qui aiment la terre ; il a parlé de son éditeur qui attendait depuis des années son autobiographie ; Il n’avait pas le temps, c’était trop long ; alors il avait décidé de transformer ce livre improbable en one man show, où il raconterait les grands moments de sa vie en soie et Ferrari. Il a parlé, comme on parle au bistrot du coin, mains posées sur le zinc, face au miroir. Il était heureux d’être là, avec nous, pas timide du tout, pas cabot, avec plein d’humour, de délicatesse, de mots doux. Puis il a chanté encore et encore.
Je suis allé le voir avec mon amie dans sa loge improvisée. On a bavardé, avec une coupe de champagne, dandy toujours. Il portait une marinière, le même modèle que celui de Bardot dans Le Mépris. La classe. Il a demandé le prénom de ma compagne. « Ah Véronique, c’est drôle, c’est le prénom de ma femme. » Il a souri, de ce regard qui veut la fête, les femmes, la dolce vita.
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Puis on s’est quittés. Il rejoignait son bateau ancré dans un port de la Méditerranée. On s’est promis de se revoir à Paris. Le lendemain, il m’envoyait une photo de sa cabine, « en direct » de La Giscle. Il y avait deux roses rouges dans un petit vase posé près d’une enceinte. Esthète magnifique dans son bateau ivre, prêt à appareiller pour de nouvelles aventures artistiques et singulières, comme Ulysse, sur la mer bleue. On ne s’est jamais revus. Je suis triste, pour ne pas dire plus. Je pense à toi, à tes silences dans tes bottes mexicaines, à ton putain de vélo noir tout chromé que tu m’as laissé sur l’île de Ré et qui était un peu trop petit pour moi… Je ne pense plus. J’écoute ta voix pleine de grâce.
Tu ne mourras pas, tu es un poète. Mais notre monde, oui. Tu l’avais du reste prédit :
« Dandy un peu maudit, un peu vieilli,
Dans ce luxe qui s’effondre »
Nous sommes des marionnettes sans fil.
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