C’est Christophe Castaner qui l’a dit : désormais en France, l’émotion « dépasse les règles juridiques. » Les citoyens peuvent bien avoir un « soupçon avéré », le gouvernement a tellement peur que les banlieues s’embrasent qu’il participe au dénigrement des policiers pour tenter de contenir la propagation des émeutes raciales américaines. Retour sur deux jours de violation de la séparation des pouvoirs.
Pour qui a quelques notions juridiques, il est un principe cardinal de notre Etat de droit : la séparation des pouvoirs. C’est le principe sur lequel tout repose, remarquablement défini par Montesquieu en 1748 « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ».
Belloubet et Castaner piétinent les grands principes
Ce principe vient toutefois d’être piétiné à deux reprises en deux jours par les plus hautes autorités de l’État.
Lundi 8 juin, l’AFP nous apprend qu’Emmanuel Macron a demandé à la ministre de la Justice Nicole Belloubet de « se pencher sur le dossier Adama Traoré ». La Constitution est pourtant très claire : le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (article 64 de la Constitution). Le président n’a donc aucune consigne à donner au garde des Sceaux quant à la gestion d’un dossier en particulier… D’autant plus que la loi interdit à ce dernier d’intervenir dans des affaires individuelles (article 30 du Code de procédure pénale) : ce n’est pas au ministre de la Justice lui-même de trancher un dossier, mais au juge qui en a la responsabilité ! L’empiétement sur les prérogatives du pouvoir judiciaire est net et caractérisé.
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Mardi 9 juin, rebelote ! Après avoir annoncé la veille la suspension des agents « pour chaque soupçon avéré d’actes ou de propos racistes », la fin immédiate des contrôles d’identité comme « critère d’évaluation d’activité » et l’interdiction de la technique de l’étranglement lors des interpellations, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner déclare de manière stupéfiante au micro de Jean-Jacques Bourdin que les manifestations en hommage à George Floyd et Adama Traoré prévues partout en France ne seront pas sanctionnées compte tenu de « l’émotion mondiale, une émotion saine » sur le sujet.
La loi est pourtant très claire, qui dispose qu’en raison de la situation sanitaire exceptionnelle, tout rassemblement mettant en présence plus de dix personnes sur la voie publique est interdit sur l’ensemble du territoire de la République (article 3 du décret du 31 mai 2020). L’objectif est simple : empêcher les rassemblements de se transformer en « cluster » géant, dans l’intérêt général. Cette interdiction de manifester, circonstanciée, applicable à tous sans distinction et limitée dans le temps, se comprend aisément compte tenu de l’effroyable épidémie de Covid-19.
L’émotion ne fait pas la loi !
La loi est la même pour tous. Soit les manifestations sont autorisées, soit elles ne le sont pas. Trier entre les « bonnes » et les « mauvaises » manifestations, c’est faire fi de la loi. Peu importe les revendications portées par les manifestants : ce n’est pas le sujet. Là encore, la violation de la séparation des pouvoirs est caractérisée. Ce n’est pas le ministre de l’Intérieur qui dispose de l’opportunité des poursuites pénales, mais le procureur de la République ! En refusant de constater les infractions à la loi de la République, le ministre se substitue à l’autorité judiciaire qui seule doit décider des suites à donner en cas de manifestation illégale. C’est le principe de l’indépendance du Parquet. Soyons clairs : si l’interdiction de manifester n’est plus justifiée compte tenu de l’évolution de l’état sanitaire du pays, alors il faut l’abroger. Sinon elle s’applique, partout et pour tous.
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En portant gravement atteinte à la séparation des pouvoirs, à deux reprises et en deux jours, l’exécutif fragilise le fondement même de notre état de droit. Faut-il encore rappeler l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
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