Le dernier ouvrage de Christophe Bourseiller est salutaire. En analysant un grand nombre de théories du complot depuis le XVIIIe siècle, son livre démontre que le « complotisme », accusation très en vogue actuellement pour décrédibiliser autrui, est loin d’être un phénomène nouveau propre à l’extrême droite…
Complotiste ! Voilà un des mots les plus utilisés lors de la crise sanitaire liée au Covid-19. Par cette accusation, les médias dominants ou l’exécutif ont pu contraindre au silence toute critique de la politique sanitaire, même légitime.
Y’a pas de hasard…
Dans Le Complotisme, anatomie d’une religion, Christophe Bourseiller prend un peu de recul et se livre à une véritable généalogie des théories du complot qui ont émaillé l’histoire, du XVIIIe siècle à nos jours, de la Révolution française au coronavirus. L’essayiste présente le complotisme comme une religion ayant pour credo principal « la remise en cause de la réalité ». Plus que d’autres, les complotistes utilisent le pronom personnel « on », pour dire « qu’on nous ment », « qu’on nous dissimule la vérité ». Mais qui se cache derrière ce « on » ? « Ils », « eux », une « main démoniaque » qui serait à l’origine de chaque événement. « Les adeptes de cette religion savent que les aléas n’existent pas et que les grandes catastrophes, aussi bien que les petits maux, ont été produits par une volonté consciente et extérieure ». L’apparence n’est pas la réalité, rien ne se produit par hasard.
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Christophe Bourseiller considère ainsi que « complotisme » et « conspirationnisme » sont peu ou prou des synonymes. Une conspiration est « une entente dirigée contre quelqu’un ou quelque chose, un accord secret entre des personnes, visant à ébranler, déstabiliser, renverser une autorité », tandis qu’un complot est « la mise en œuvre de cette conspiration ». On pourrait dire que les complotistes se concentrent sur la dénonciation d’une vérité cachée précise (aucun avion ne s’est abimé sur le Pentagone, le vaccin injecte des puces 5G dans l’organisme, un OVNI s’est posé à Roswell…) alors que les conspirationnistes sont tourmentés par les groupes opérant dans l’ombre (les juifs, les reptiliens, les illuminati…)
L’auteur rappelle que les vrais complots ont toujours existé dans l’histoire : l’assassinat de César par Brutus en 44 avant J-C, l’arrestation et le massacre des Templiers en 1307, l’assassinat d’Henri III en 1589 ou d’Henri IV en 1610. Seulement, il existe une différence fondamentale entre ces vrais complots et les théories du complot : « les premiers ont été prouvés par des preuves directes et positives alors que les autres ne reposent que sur des données erratiques ». Le complotiste verrait ainsi souvent des complots là où il n’y en a pas. Quant à la théorie du complot, c’est plus qu’une simple rumeur, analyse Bourseiller. Si la rumeur est un bruit qui court, anonyme, la théorie du complot représente une « rationalisation de la rumeur. Partant d’une assertion non fondée qui n’est étayée par aucune preuve, elle se construit comme un échafaudage apparemment rationnel, qui est un système clos bâti sur le seul et unique doute ».
Sociologie des adeptes du complotisme
Christophe Bourseiller distingue aussi les complotistes des idéologues. Les premiers sont donc des croyants, les adeptes d’une religion du doute perpétuel. Ils « ne militent pas pour l’instauration d’une nouvelle civilisation, ils se contentent de dénoncer les mensonges, qui, à leurs yeux, les entourent ».
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L’auteur classe les acteurs de la complosphère actuelle en quatre grands groupes : les théoriciens, les politiques et scientifiques à la retraite, les personnages publics et enfin les internautes devant leurs écrans s’abreuvant de tout cela.
Penseurs de droite…
Si les adeptes des « réalités alternatives » sont actuellement de plus en plus nombreux – ce que confirment de nombreuses enquêtes d’opinion – on constate des invariants dans l’histoire des théories du complot. Les maitres du monde, les tireurs de ficelles, sont souvent les mêmes : juifs, francs-maçons et même… illuminatis. Les mêmes théories sont recyclées, les mêmes histoires éternellement ressassées, car les complotistes « ne font que plaquer sur la réalité des schémas interprétatifs codifiés et souvent très anciens : antisémitisme, racisme, dénonciation de sociétés secrètes ». Au XVIIIe siècle déjà, se répandait l’idée que la République est l’œuvre de Satan, des juifs, des francs-maçons et des Illuminati. Mais qui sont ces derniers, exactement ? Selon le premier théoricien du complot dans la sphère anglo-saxonne, John Robinson (1739-1804), « c’est une secte bavaroise qui combat Dieu et les Rois ». La République française est donc un complot ourdi par ces derniers. Précisons tout de même que les Illuminati est une organisation qui a bien existé, mais elle n’existe plus depuis le XVIIIe siècle.
Au XXe siècle, aux Etats-Unis, Myron Fargan était un scénariste reconnu, un auteur à succès qui voyait en Roosevelt un communiste dissimulé, ce qui aurait poussé le président américain à offrir l’Europe orientale aux Russes, à Yalta. Fargan décide d’en faire un film, mais à Hollywood personne ne l’accepte. Il en conclut que les bolcheviks ont également infiltré le monde du cinéma, que les rouges contrôlent l’Occident et que l’ONU est un gouvernement mondial communiste ! Moscou tire les ficelles à Washington, selon lui. Mais qui tire les ficelles à Moscou ? Les Illuminati, bien sûr ! Ils ont créé le communisme, le nazisme, les guerres et veulent à présent détruire la civilisation occidentale.
Les auteurs de théories du complot ont cette capacité à relier entre eux des récits épars pour leur conférer une cohérence globale. Chaque génération de complotistes singe la précédente, et dénonce les mêmes communautés, les mêmes sociétés secrètes.
… et de gauche
Les théories du complot circulant au sujet du coronavirus sont très nombreuses, et des liens peuvent être faits avec des anciens récits sur le Sida. Tout aura été entendu : que ce virus n’existe pas, que les chiffres sont truqués, qu’une tyrannie se met en place sous couvert de contrôler la pandémie, qu’il s’agit d’une arme bactériologique créée en laboratoire pour mettre un frein à la croissance de la population mondiale, ce qu’a très sérieusement avancé la sociologue de gauche Monique Pinçon-Charlot dans le documentaire Hold-up où elle parlait « d’un holocauste qui va éliminer, certainement, la partie la plus pauvre de l’humanité, c’est-à-dire trois milliards cinq cents millions d’êtres humains » [1]. On le voit, le complotisme contemporain ne prend pas uniquement racine dans les idées des penseurs de droite. Le complotisme peut aussi émaner d’une sociologue de la gauche radicale qui a été directrice de recherche au CNRS !
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De nos jours internet est la référence majeure de tous les conspirationnistes et le principal canal de diffusion de leurs théories. Faut-il user de la censure pour faire taire ces vérités alternatives ? C’est ce que d’aucuns aimeraient faire, notamment sur les réseaux sociaux, mais bâillonner les complotistes ne fait que renforcer ces derniers dans leur certitude de dire la vérité, puisqu’on cherche à les faire taire !
Enfin, bien sûr, ce n’est pas parce que le complotisme existe qu’il n’y a jamais de complots…
Christophe Bourseiller tient ainsi à alerter au sujet d’un « anticomplotisme incantatoire qui diabolise tout ce qui n’est pas conformiste ». En effet, comme Causeur a pu en faire les frais lors de sa une « Souriez-vous êtes grand-remplacés », le recours à la notion de complotisme est monnaie courante pour clore tout débat, pour ostraciser, pour faire taire un adversaire politique sans avoir besoin de recourir à une argumentation sur le fond. Or, l’existence du complotisme n’invalide pas toujours l’existence de véritables complots.
[1] Monique Pinçon-Charlot a depuis dit regretter ce propos et l’a fait retirer du film NDLR.
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