Si les accros à l’info la suivent depuis longtemps, un plus large public a appris à la connaître depuis 2019. Son émission à succès avec Éric Zemmour lui a valu d’être placée sous protection, avec sa fille de 7 ans, alors qu’on ne sait pas pour qui elle vote. Dans son dernier essai (Libertés sans expression, Cherche Midi, 2022), qui prend la forme d’une autobiographie, les thèmes de l’identité et de la liberté d’expression occupent des places de choix. Rencontre avec la journaliste star de CNews, ancienne membre du CSA.
Causeur. Après avoir consacré des ouvrages à l’affaire Flactif ou à François Fillon, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur vous ?
Christine Kelly. Mon éditeur ! Il pense que les gens ont envie de savoir qui se cache derrière la présentatrice de « Face à l’info ». Dans l’affaire Flactif, l’histoire d’une famille assassinée, ce qui m’avait frappée, c’était le mobile : la jalousie d’un voisin. Je déteste la jalousie, je ne comprends pas ce sentiment.
Dans notre métier, elle est pourtant très répandue, même si, heureusement, elle n’est pas meurtrière…
C’est peut-être pour cela que je me demande souvent ce que je fais là ! Ma vie est une longue suite de tests, de défis que je me lance à moi-même. J’essaie de ne pas me soucier de l’image que je donne et je déteste la jalousie. Pourtant, j’évolue dans un milieu obsédé par le paraître et imprégné de jalousie, comme vous l’avez dit. Quand je suis arrivée à LCI, je me suis rendu compte que j’étais la première journaliste noire sur une chaîne info, et que cela faisait tout un ramdam. J’étais heureuse et fière, mais en même temps je n’avais pas envie d’être un symbole. Enfin, même si j’ai eu une éducation extrêmement stricte, je suis très reconnaissante, en définitive, envers mes parents, d’avoir fait la femme que je suis. Cette éducation stricte m’a formée, m’a forgée pour le combat, la quête de liberté. Je ne renie rien de mon identité et de mon histoire, avec ses forces, ses faiblesses, ses trous noirs et ses moments lumineux.
Avez-vous souvent rencontré le racisme en France ?
Même si j’ai eu quelques mauvaises expériences, il serait faux de prétendre que j’ai souvent été confrontée au racisme. Il y a aujourd’hui des gens mal dans leur peau, qui se cachent derrière les deux ou trois cas de racisme avérés qu’ils ont rencontrés pour en faire une généralité. Je n’interprète pas toute parole déplacée comme raciste. Derrière ce qu’on qualifie de racisme à la va-vite, il y a souvent du mépris, de l’ignorance ou de la simple maladresse.
Tout de même, lorsque vous travailliez à la chaîne Demain, on vous appelait la « noiraude » ! Et à la fin de votre premier journal, sur LCI, Jean-Claude Dassier vous conseille de gommer votre accent antillais. Mais vous ne vous vexiez pas. Vous semblez presque regretter cette époque. Aujourd’hui, tout le monde trouverait cela choquant.
La remarque de Jean-Claude Dassier me poussait à me remettre en question, et je ne la prenais donc pas comme une offense. Aujourd’hui, on a tellement peur de frustrer les gens, on veut tellement tout édulcorer qu’on ne dit plus les choses. Mais ce n’est pas rendre service. Évidemment, je n’aime pas tellement qu’on m’appelle la noiraude. Ni la grosse, ni la petite, ni la bêbête d’ailleurs… Mais se complaire dans la victimisation, cela empêche de prendre en main son destin. Avancer est plus important.
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Vous êtes très opposée à la discrimination positive. Vous avez toujours refusé d’être « la Noire de service », vous dites que votre couleur de peau « n’est ni un drapeau, ni un fardeau », mais « une partie à la fois superficielle et profonde » de votre identité. Finalement, a-t-elle été un handicap ou au contraire, plutôt une chance ? Avez-vous été promue aussi pour cela ? Ou pour votre beauté, peut-être ? Cela n’est pas complètement anodin, à la télévision…
Le principe de la discrimination positive est humiliant. C’est comme avoir une étoile jaune collée sur vous ! Je peux comprendre qu’il y ait une envie d’équilibre, mais on ne va pas commencer à compter les gens en fonction de leur couleur de peau. Je préfère ne pas avoir le poste, si je ne suis pas compétente. La compétence avant tout ! De ce point de vue, les téléspectateurs ne réagissent pas du tout comme le milieu médiatique, où on me rappelle souvent que je suis la journaliste noire. Les téléspectateurs, eux, me disent : « Ah super ! On vous a vue à la télé » ; mais jamais ils ne m’ont dit : « Vous êtes la première journaliste noire. » Le milieu médiatique veut vous enfermer dans une couleur de peau, alors que le Français n’en a rien à cirer que je sois blanche, blonde ou brune. Avec le recul, je pense donc que ma couleur de peau m’a autant servie que desservie. Il y a encore des préjugés : combien de fois, en sortant de l’école de journalisme, on m’a proposé de faire des émissions sur la musique ou le sport… Ma couleur de peau, la beauté que vous me prêtez, être une femme… peut-être que cela m’a aidée, mais je n’aime pas le penser. L’apparence est trompeuse et la beauté vaine, comme on dit dans la Bible. La beauté est utile à la télé, mais je refuse d’être jugée pour cela.
Vous refusez également de donner votre opinion. Pensez-vous que cela soit incompatible avec le métier de journaliste ?
Non ! Quand je suis chez Morandini ou dans « Balance ton post ! », je donne mon avis. Mais dans une émission comme « Face à l’info », où je mets en valeur l’opinion des autres, il est très important de me mettre en retrait. Avant que je commence l’émission avec Éric Zemmour, on me demandait : « Quitterez-vous le plateau pour manifester votre désaccord ? » Selon une théorie du journalisme à la mode, aujourd’hui l’idée serait d’aller forcément contre, la bave aux lèvres. Mais pourquoi cela ? Pour faire plaisir à qui ? Je ne dois rien à personne. On m’a reproché de sourire à Éric Zemmour, de ne pas me mettre en colère, mais on n’éteint pas un incendie avec le feu. Dans cette émission, la seule limite que j’ai fixée à l’expression des opinions, ce sont la loi et les règles fixées par le CSA (Arcom). C’est au spectateur de se faire son opinion sur les invités : le curseur est entre ses mains. Or, certains voudraient mettre ce curseur dans les mains du journaliste. Ce serait à lui de décider ce qu’on peut penser.
Vous avez longtemps eu une vision idéalisée du journalisme, l’idée qu’il était animé par la seule passion d’informer. Or, on n’est pas journaliste uniquement pour le bien commun, mais aussi parce que cela nous amuse, non ? N’avez-vous pas un peu déchanté sur ce métier ?
Je reste très attachée à l’intérêt général. Quand je fais une émission, je me dis toujours qu’il y a quelqu’un derrière son poste qui doit repartir avec quelque chose. La star, c’est l’info. On s’amuse aussi, bien sûr, dans « Face à l’info ». Fin juin, par exemple, c’était l’anniversaire de Charlotte d’Ornellas. Cela a duré une minute, puis on a vite remballé les fleurs. Donc il me reste quand même un peu d’idéal.
Assumeriez-vous le qualificatif de « conservatrice » ?
Conservatrice, pour le métier de journalise, oui. Si j’anime un débat, je n’ai pas à donner mon avis. Là-dessus, je suis à l’ancienne. Concernant la politique, je vais vous étonner. J’aime bien la politique, oui, mais dans le sens de l’intérêt général, pas forcément en tant que matière. La politique politicienne ne me passionne pas. J’aime la politique qui aide les gens, j’aime l’action. Je continue par exemple à m’investir beaucoup dans mon association qui vient en aide aux familles monoparentales. Il est important de rester en prise avec la société.
Vous êtes quand même assez critique avec vos confrères ou les écoles de journalisme : « En instaurant une sélection morale des invités et des sujets, les journalistes font l’inverse de ce que devrait être leur métier. » S’ils avaient voulu affaiblir leur métier, ajoutez-vous, ils n’auraient pas fait autrement. Y a-t-il des gens que vous refuseriez d’interviewer ?
Non, personne. On me demande tout le temps : et Dieudonné ? Oui, je peux interviewer Dieudonné. Pareil pour Mélenchon, mais lui ne viendrait sans doute pas. J’ai plus ou moins d’affinités, je suis plus ou moins à l’aise mais par principe, je ne refuse personne.
Plusieurs étudiants en école de journalisme m’ont expliqué que citer une chaîne d’info ou même Le Figaro dans une copie pouvait leur valoir une mauvaise note ! Je regrette cette orientation. Plus largement, en voulant réguler sans cesse la liberté d’expression, on finit par la piétiner. Au CSA, je me suis occupée des temps de parole pour la présidentielle 2012 et j’ai compris qu’il fallait faire confiance aux médias. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé, la demande de censure vient plus d’en bas que d’en haut. Pensez au nombre de lettres que reçoit le CSA pour demander de faire taire Zemmour ! Quand j’y officiais, on m’a carrément demandé d’étudier une demande de retrait d’une publicité du Crédit mutuel dans laquelle il était dit que le père Noël n’existe pas. Il ne faut pas exagérer ! L’individualisation écrase tout aujourd’hui, il ne faut pas blesser untel, ne pas heurter telle ou telle particularité. Comme si ces particularités devaient prévaloir sur la loi ! Tu dis ce que tu veux, mais tu ne me choques pas ? Je suis pour la liberté d’offenser. C’est la loi en France. Il y a une hypocrisie à vouloir garder la loi telle qu’elle est mais, dans les faits, à rechigner en permanence à la voir appliquée.
Et vous interrogeriez un terroriste ? Ou un pédophile ?
Pourquoi pas ! C’est notre rôle.
Plusieurs fois, vous avez sauvé la mise à Éric Zemmour, en lui faisant préciser ses propos, notamment sur les mineurs isolés.C’était la meilleure séquence de toute ma vie professionnelle, précisément parce que j’ai réussi à faire clarifier ses propos à Éric Zemmour et dire : « Pas tous. » Je respecte le travail du CSA et il ne faut pas oublier que sa première mission est de préserver la liberté d’expression au quotidien. J’ai appris beaucoup de choses avec cette émission. Au début, Zemmour me disait « les antiracistes sont des racistes », je le regardais et dans ma tête, je me disais : « Qu’est-ce qu’il raconte ? » Et, petit à petit, j’ai compris qu’il n’avait pas tort sur ce point. Sur la politique des droits de l’homme, aussi. Je n’avais jamais prêté attention aux dangers du droit-de-l’hommisme. Un jour, je lui rappelle qu’il faut respecter le CSA et la loi, et il me répond : « Vous savez, Christine, on fait des lois seulement pour moi. » Et, effectivement, il était difficile de ne pas voir dans le texte qui visait à l’écarter de CNews une mesure sur-mesure. Sa plus belle chronique sur CNews, selon moi, répondait à une question que je lui avais posée : « Qu’est-ce que la haine ? » La haine étant un sentiment, effectivement, je me suis demandé : a-t-on le droit, ou non, d’éprouver un sentiment ?
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Quand on vous a proposé l’émission avec Éric Zemmour, avez-vous eu des demandes particulières ou posé des conditions ?
Non. Je ne connaissais pas Éric Zemmour, mais j’ai accepté immédiatement de la faire, par défi. À l’époque, tout le monde critiquait Zemmour, c’était le grand Satan du moment, qui venait de participer à la convention de la droite. La seule chose que j’ai demandée : le respect sur le plateau.
Le premier jour, Éric Zemmour n’était pas très respectueux. Mais sans élever la voix, vous avez obtenu le respect.
Lorsqu’il est arrivé sur le plateau, le premier jour, je pense qu’il s’est dit qu’on allait le pulvériser. Il n’avait jamais travaillé dans un environnement qui ne lui fût pas inutilement hostile. Et peu à peu, il a compris que je n’étais pas dans l’hostilité, mais dans l’écoute. Si je n’étais pas passée par le CSA, je n’aurais peut-être pas eu cette approche qui ne se soucie pas de sensiblerie, mais simplement des limites de la loi. J’ai mis à profit tout ce que j’ai appris au CSA pour pouvoir mieux gérer la liberté d’expression d’Éric Zemmour. Et, en juin dernier, quand il est revenu dans l’émission, il m’a dit que cela avait été sa plus belle expérience professionnelle malgré tout.
C’est aussi une des rares émissions de CNews où les gens ont le temps de développer leur propos…
Exactement ! Peut-être que dans d’autres émissions, certains ont peur des silences. Je les adore.
Les revers d’Éric Zemmour vous ont-ils fait de la peine ?
Je n’ai pas eu de peine, et je lui ai dit. L’échec, c’est l’envers du succès : il y a six mois, il n’était même pas candidat à la présidentielle… Je le vois comme ça. Je fais la différence entre les idées et l’homme. J’ai du respect pour Éric Zemmour. C’est quelqu’un avec qui il est très agréable de travailler, un homme très bien éduqué, très poli, qui apportait toujours beaucoup d’humour. Il aime confronter ses idées à celles de ses adversaires. Très rares sont les personnalités de ce genre. En six mois, il a monté un parti, fait des meetings, il a su rassembler, gérer des adhérents : c’est un exploit. Je vois aujourd’hui que certains le fuient uniquement parce qu’il a perdu. Mais qu’il ait perdu ou non, il reste Éric Zemmour à mes yeux.