Christine Boutin, Bernard Tapie, Jul: ces derniers jours, médias bobos et réseaux sociaux se sont à nouveau déchaînés. Comme toujours sur des proies faciles…
Trois personnages viennent d’avoir droit à leur petite fête médiatique. Ils font partie de ces punching-balls sur lesquels il faut, comme dans les foires, taper le plus fort possible. Parfois, on n’a pas envie de taper.
Boutin descendue du train
À tout seigneur tout honneur, la rombière emblématique Christine Boutin vient d’annoncer la fin de sa vie politique. Retraite saluée par un festival de ricanements, insultes, blagues salaces et contrepèteries. Alors il est vrai qu’elle a tout pour qu’on la déteste. Catho’ ardente, elle est contre le mariage gay et considère que l’homosexualité est une « abomination », parce que c’est un péché, qui mérite d’ailleurs miséricorde.
Que des bêtises évidemment, elle a un train de retard. Mais pour ça elle a pris cher. Condamnée en correctionnelle, elle fut aussi traitée de dégénérée pour avoir épousé son cousin germain. Ceux qui l’ont insultée oubliant au passage que c’est le cas d’une bonne part de la population en terre d’Islam, où d’ailleurs l’homosexualité est punie de mort.
Christine Boutin n’a jamais appelé à jeter les homos du haut des immeubles. En revanche, sans jamais masquer ce qu’elle était, et sans sectarisme dans l’action, elle a mené une belle carrière politique d’élue locale, femme combattante et émancipée. Elle a fait aussi un très convenable ministre du Logement. Et pour ma part, ce que je retiens particulièrement, c’est qu’elle fut une des premières dans la sphère politique à dénoncer le scandale de l’état indigne des prisons françaises. Si on est encore loin du compte, ce travail a quand même porté ses fruits : qu’elle en soit donc remerciée.
Au revoir, Madame.
«Nanard était sévèrement burné »
Et puis, il y a Nanard, Bernard Tapie « himself », improbable ruffian sorti de nulle part pendant les « années-fric » à qui courage, talent, absence de scrupules et d’illusions sur les hommes ont permis de faire tout et n’importe quoi. Courage, parce que comme le décrivaient « les Guignols » du siècle dernier – quand ils étaient encore drôles -, «Nanard était sévèrement burné ».
Talent, il suffisait de voir comment il écrabouillait systématiquement ses interlocuteurs dans les débats télévisés pour en être convaincu.
Pour l’absence de scrupules, la lecture des quelques livres qui lui ont été consacrés est suffisamment édifiante. Bernard Tapie a même réussi à faire mentir l’écrivain Jean Ray qui disait « qu’il n’y a que la fortune pour faire d’un ruffian un honnête homme, soumis aux lois humaines. » Doublement, parce que le saltimbanque, même richissime, a continué à prendre des libertés avec le droit et la morale. Mais aussi parce que l’entreprise de spoliation, dont il est la victime aujourd’hui, n’a pu se mener que par la violation par l’État de sa propre légalité. Et ça, il n’y a pas de quoi trouver ça formidable.
Bernard Tapie a été victime, il y a plus de 20 ans, de l’affaire du Crédit Lyonnais à l’occasion de la vente de la société Adidas. Il s’en est remis à la justice pour être rempli de ses droits, mais malgré l’évidence, il s’est heurté à la durée interminable des procédures. Il a donc préféré passer par un arbitrage qui lui a rapporté des sommes, certes très importantes, mais sans commune mesure avec ce qu’il aurait pu obtenir au bout de la procédure. C’est-à-dire quelques années après son décès…
Après l’arrivée au pouvoir de François Hollande, la décision a été prise de lui faire rendre gorge et, acrobaties judiciaires après acrobaties judiciaires, ses ennemis ont réussi à le mettre à poil. À l’occasion d’une audience adjacente devant une juridiction belge, Bernard Tapie atteint d’un cancer de l’estomac, et méconnaissable, s’est rendu au tribunal. Le mal qui le ronge ne l’a pas empêché de retourner au combat.
Cela mérite autre chose que des injures, même si on ne va pas plaindre une victime qu’il n’est pas. Simplement, peut-être, exprimer un peu d’admiration pour celui qui doit bien savoir ce qui l’attend, et qui continue à se battre.
Chapeau quand même Monsieur.
Jul, l’enfant de Saint-Jean-du-Désert
Je n’avais jamais entendu parler de Jul, « rappeur marseillais », avant qu’il ne défraie la chronique. Moins pour une assez grosse bêtise qu’il avait commise, que pour avoir publié un tweet d’excuses à l’orthographe hasardeuse. Comme il le recommandait lui-même, je suis allé jeter un coup d’œil sur sa notice Wikipédia. Si je n’ai pas tout compris, j’ai mesuré qu’il n’était pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche et que ses débuts dans la vie n’avaient pas dû être très faciles. Quelle est donc cette histoire qui a ameuté médias et réseaux ?
Jul s’est fait arrêter pour excès de vitesse sur l’autoroute, sous emprise de cannabis et avec un passager armé d’un 9 mm. Sûr que cela a fait un peu de bruit et que c’est moyen pour l’image. Alors il a fallu s’y coller et publier spontanément un message d’excuses sur Facebook : « Desolé ma team pour ce qu’il cest passé. Je sait qui a des enfant et des parent qui me suive cest pas une bonne image pour tt le monde donc voila je tenez a mescusez».
Desolé ma team pour ce qu’il cest passé 😔
Je sait qui a des enfant et des parent qui me suive cest pas une bonne… https://t.co/adH8mScdwc— Jul (@jul) 24 octobre 2017
Instantanément, l’excès de vitesse, le cannabis, le 9 mm ont été oubliés, Jul illettré, la meute tenait sa revanche. C’est qu’il a pris cher l’enfant de Saint-Jean-du-Désert, l’homme aux disques de platine, récompensé aux Victoires de la Musique, et qui remplit les salles de concert. Un torrent d’insultes et de ricanements, chacun, cuistres et gommeux en tête, y est allé de son commentaire qui n’exprimait que mépris social et frustration.
Ah ok. Brûlons un Bescherelle pour fêter ça alors.
— Bertrand Chameroy (@bchameroy) 24 octobre 2017
Et quand tu t’excuse pour l’orthographe français ?
— _Flo_le vrai(^o^) (@b499_FLO) 24 octobre 2017
Je tenez a mescuzez pour le tweet sur JUL
— Christophe Conte (@christopheconte) 24 octobre 2017
Voilà un gamin en échec scolaire, fils de maçon, dont l’enfance n’a peut-être pas été rose tous les jours. Mais « franchement, un illettré qui réussit, cela montre bien que cette société marche sur la tête. Nos enfants à nous, qui vont dans les écoles privées et au conservatoire, ils ne sont pas capables d’aligner trois notes, et sont toujours chômeurs à 28 ans. Eh bien, malgré sa réussite musicale, on va pouvoir le renvoyer symboliquement à la condition indigne dont il n’aurait jamais dû sortir ».
Parce qu’on sait bien, que dans les couches populaires ne pas savoir écrire convenablement est vécu comme une indignité. Le pire a été la publication de cette photo d’un tableau ou une enseignante avait marqué en titre : « la dictée de Jul », et reproduit le texte, barré de feutre rouge sous les fautes. Et de rire ? Il n’y a pas de quoi Madame, Jul illettré, c’est aussi votre échec et celui de vos collègues. Pas seulement le vôtre certes, mais il n’y a pas de quoi pavoiser.
Autant que le post d’excuses de Jul serve dans les classes. pic.twitter.com/rUIFYP9fwr
— Corentin Bainier (@cbainier) 25 octobre 2017
Jul devait savoir ce qui l’attendait, et il a fait preuve d’un certain courage en affichant cet illettrisme. Ce qui le démontre aussi, c’est que face à la clameur remettant le couvert, il a répondu qu’il assumait et qu’il était fier de sa réussite : « Ils peuvent parlez jusqu’a demain sur moi ou mon orthographe… sa ne matteint pas lol tant kia ma team derriere moi pff j’accepte tte leur moquerie ! »
Ils peuvent parlez jusqu’a demain sur moi ou mon orthographe … sa ne matteint pas lol tant kia ma team derriere… https://t.co/yRsdmmRWRB
— Jul (@jul) 25 octobre 2017
Bien joué cousin !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !