Singulier roman que signe Christine Barthe qui fut psychothérapeute. Ce que dit Lucie nous plonge dans le monde de deux nageuses amies, Lucie et Anaïs.
Lucie, 6 ans à peine, se laisse entraîner vers le fond d’un bassin, avant d’être sauvée in extremis par une main d’adulte. Elle pourrait avoir la phobie de l’eau. Mais non, à 9 ans, elle est repérée comme une nageuse d’exception par sa professeure de gymnastique. Mais au même âge, ce n’est pas la seule chose qui lui arrive – on l’apprendra au cours du récit tout en subtilité. À 11 ans, elle s’inscrit dans un club et découvre la compétition. Elle rencontre Anaïs, c’est une « tigresse », une crawleuse qui ignore les limites ; elle ne conçoit pas de perdre. Lucie est une dossiste ; fascinée par l’eau, son approche est davantage esthétique, voire métaphysique. La mer, la rivière, le fleuve sont bienveillants. Raisonnement peu conforme à la réalité ? Sûrement. Mais la réalité n’est pas toujours la réalité. Voyez le phénomène de réfraction. Le bâton dans l’eau, on jurerait qu’il est tordu. Or, il ne l’est pas.
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Un été, les deux jeunes filles se retrouvent dans un centre de préparation pour les championnats de France. Avant la compétition, Lucie chute dans un couloir. Entorse à la cheville. Elle finit dans le lointain. Carrière terminée. Anaïs se trouvait derrière Lucie quand elle est tombée. Soudain, le doute s’immisce : et si sa « sœur de cœur » l’avait poussée ? L’engrenage commence. Le roman bascule dans l’enquête policière. En effet, quelques années plus tard, les deux amies séjournent sur la côte atlantique, à Hendaye. L’eau est à 14 degrés. Elles se baignent quand même. Lucie décide de sortir, tandis qu’Anaïs s’y refuse. Le drame surgit. Elle se noie. Que s’est-il réellement passé ? Une enquête est ouverte. Lucie est convoquée par l’inspecteur Aulnes. C’est le roi de l’interrogatoire. La confrontation est rude. Durant la garde à vue, Lucie ne se laisse pas faire, mais l’inspecteur ne la lâche pas.
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La structure narrative est originale : les scènes d’interrogatoire sont entrecoupées d’extraits du journal intime de Lucie. Ainsi le lecteur se trouve-t-il dérouté par sa personnalité duale. Est-elle manipulatrice ou à l’image de l’eau ? Extrait du journal : « L’eau prend la forme de toute entité qui s’y plonge, elle l’accueille, l’accompagne, ne l’oblige à rien, la laisse se mouvoir, lui offre la possibilité d’apprendre quelque chose sur elle-même et sur cet héritage qui l’entoure, dans le silence et l’ondulation de sa source. »
En tout cas, Ce que dit Lucie est aussi hypnotique que les tourbillons de l’eau qu’on contemple du bord de la rive.
Christine Barthe, Ce que dit Lucie, Seuil / Fiction & Cie 176 pages
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