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Christiane Taubira, réactif des réacs


Christiane Taubira, réactif des réacs

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Moi, j’aime beaucoup Christiane Taubira. Enfin, plus exactement, j’ai appris à l’aimer. Je n’avais pas d’avis tranché sur le mariage pour tous, par exemple, mais je l’ai trouvée brillantissime à l’Assemblée et puis surtout j’ai vu ce qu’elle avait fait remonter à la surface. Du coup, je suis tombé tout à fait consciemment dans le panneau de la stratégie gouvernementale sur le sujet : Christiane Taubira devenait un des derniers marqueurs de gauche sur un sujet sociétal, sans doute, mais qui par les passions qu’il a réveillées, a au moins eu le mérite de montrer que la gauche et la droite, ce n’était pas encore (ou toujours) tout à fait la même chose.

Si j’aime beaucoup Christiane Taubira, c’est aussi parce que je n’aime vraiment pas les gens qui la détestent. En quelque sorte, je me suis mis à aimer Christiane Taubira par défaut. Je me dis qu’attirer des haines comme elle a pu les attirer, voire les provoquer, est plutôt bon signe quand on est noire, femme, ministre et qu’on se réclame d’une gauche sans complexe. Cela veut dire qu’on gêne encore, un peu, dans un monde politique totalement uniformisé où ceux qui s’affrontent faussement font en fait partie de la même totalité structurante, vivant sur le mode du « Tiens, on va s’écharper sur le mariage pour tous, le genre, le cannabis, la fin de vie, cela nous évitera  de montrer qu’on est à peu près d’accord sur l’Europe, le libre-échange, l’euro et le démantèlement de l’Etat-providence pour faire plaisir aux agences de notation. »

On me dira que Taubira est une grande sociétaliste, elle aussi. Que finalement, elle ou Najat Vallaud-Belkacem, c’est la même chose. Eh bien non, pas du tout.  Ne serait-ce que par leur situation respective dans le grand prétoire médiatique : NVB est toujours dans la position du procureur, de l’accusation publique quand Taubira est toujours dans la position de l’accusée même si elle a su être d’une rare férocité face à ses adversaires.

NVB attaque sans cesse les vieux réactionnaires hétéros fascistes genrés tandis que Christiane Taubira, c’est elle qui est attaquée sans cesse par les mêmes vieux réactionnaires hétéros fascistes genrés. La nuance est d’importance. L’une est en permanence à l’offensive et tient sa ligne de front, l’autre est isolée au sein de son propre gouvernement. C’est sans doute, justement, que Christiane Taubira ne fait pas que du sociétal ou plutôt que le sociétal chez elle ne devrait pas être un joujou pour distraire les enfants assis sur le siège arrière d’une voiture engluée dans les bouchons de la récession et du chômage de masse mais un élément parmi d’autres d’une émancipation globale.

Un exemple simple : alors que la pensée néo-réac sur la délinquance est devenue la nouvelle pensée dominante, alors qu’on a décidé un peu partout de revenir à la vieille confusion entre classes laborieuses et classes dangereuses et d’en finir avec la culture de l’excuse, expression toute faite d’une bonne conscience inversée qui refuse de prendre en compte des corrélations évidentes entre misère et délinquance,  Christine Taubira veut continuer d’incarner l’idée que la répression n’est rien sans la prévention, que le criminel est aussi souvent une victime, bref cette affreuse pensée laxiste qui a été celle de Victor Hugo, ce vieil abruti qui voulait ouvrir des écoles pour fermer des prisons et abolir la peine de mort parce qu’il pensait que la société n’a pas à ajouter la barbarie collective à la barbarie individuelle.

Christine Taubira, en incarnant à ce point-là, physiquement (comme on avait dit pu dire assez bêtement que Juppé incarnait physiquement l’impôt) tout ce qui révulse la droite,  frise l’exploit. En fait, elle agit comme un réactif, diraient les chimistes. C’est très utile un réactif : c’est le composé qui, mis en présence d’un autre composé, le fait réagir de manière tellement caractéristique que cela permet de montrer sa présence, voire d’évaluer sa quantité. Si vous voulez savoir à quel point un homme ou une femme de droite est de droite, ce n’est pas compliqué, mettez-le en présence de Christiane  Taubira. Vous saurez tout de suite à qui vous avez affaire, la nature exacte du composé.

On ne va pas nier l’attitude plutôt maladroite de Taubira face aux attaques de la droite à propos des écoutes de Sarkozy (pas celles de Buisson, n’est-ce pas, mais celles ordonnées par les juges pour soupçon de trafic d’influence). Mais c’est oublier que sa fonction de réactif fonctionne aussi pour  révéler les tropismes droitiers de son propre gouvernement et que les cafouillages de la ministre de la Justice sont la conséquence d’une vieille inimitié avec Valls et l’impossibilité de fait d’organiser une communication claire, ce qui aboutit à une situation délirante où l’UMP arriverait presque à faire oublier que dans l’histoire, c’est tout de même elle qui jusqu’à preuve du contraire a offert l’étonnant spectacle d’une nouvelle affaire par jour la concernant.

Donc, Christiane Taubira, ne lâchez pas l’affaire. Chez ceux d’en face, mais aussi dans votre propre camp, on ne vous rate pas depuis le début. Pour les premiers, vous incarnez l’horreur d’une gauche qui croit en des valeurs de gauche même si elle ne sont pas populaires (vous devez vous souvenir de Mitterrand se prononçant contre la peine de mort devant Elkabbach quelques jours avant le premier tour de 1981) et pour les seconds, vous incarnez leur mauvaise conscience, l’œil qui est dans la tombe des illusions perdues de leur progressisme renié.

Et si vous disparaissiez lors d’un prochain remaniement ou si vous deviez démissionner, cette fois-ci, les quelques traces de gauche qui restaient dans le hollandisme, un peu comme le souvenir de l’eau sur Mars,  auraient vraiment disparu.

 

*Photo :  FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00650816_000009.



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