Cyril Bennasar, Marc Cohen. Pouvez-vous nous rappeler la chronologie de l’« affaire Vanneste », enfin de la dernière « affaire Vanneste » ?
Christian Vanneste. Tout commence par un entretien que j’ai donné à Liberté politique, un site d’information catholique – mais pas intégriste, c’est tout à fait sûr – sur une de mes propositions de loi visant à interdire plus efficacement l’accès des enfants à la pornographie sur Internet. Au fil de la discussion, le journaliste m’interroge sur le mariage gay, qui est alors dans l’actualité : « Comment expliquez-vous, me dit-il, que 63% des Français soient favorables au mariage homosexuel ? » J’explique alors qu’un véritable bourrage de crânes est à l’œuvre, et que la présence dans les médias de partisans de l’homosexualité contribue à diffuser sur la question une propagande qui va jusqu’à la désinformation. Je donne alors deux exemples : d’une part, les associations gays estiment à 300 000 le nombre de familles homoparentales, alors que l’INED en recense seulement 20 000 ; et d’autre part, j’évoque la légende de la déportation d’homosexuels depuis la France, territoires annexés mis à part. Dans le dictionnaire, une légende, c’est la déformation du passé : je pesais donc mes mots. Et, chiffres à l’appui, je déconstruis l’erreur historique.
Donc, ce sujet vous était familier ?
Pour vous répondre, je dois revenir à 1995. Je suis alors membre du bureau du Conseil régional du Nord/Pas-de-Calais ; la question de la présence des représentants des homosexuels lors des cérémonies du souvenir se pose. Je plaide et vote pour cette présence. Je vous lis une partie de mon intervention : « Devant l’absolu de la barbarie nazie, nous ne devons pas faire de différences entre les victimes. » À l’issue de la séance, je me fais copieusement engueuler par Maurice Schuman, mon maître en politique : « Christian, quand vous ne connaissez pas un sujet, vous vous taisez ! Les associations de déportés vont être furieuses, parce qu’il n’y a pas eu de déportation d’homosexuels de France, hormis des territoires annexés. » Depuis lors, je n’ai plus évoqué cette réalité historique, car c’est un sujet douloureux. Je mentionne ce point dans la discussion avec Liberté politique et nous passons à autre chose. Depuis, des historiens ont confirmé mes propos. La conclusion, c’est que je suis puni pour avoir dit la vérité.[access capability= »lire_inedits »]
Concrètement, comment éclate la polémique ?
L’interview, enregistrée le 1er février, est mise en ligne le 10. Le 14 février, quelqu’un –j’ignore qui – envoie le lien vers le site « Liberté politique » à Europe 1. Nous sommes à la veille de l’annonce de candidature de Sarkozy. Est-ce un hasard si l’« affaire » sort à ce moment-là ? En tout cas, je n’ai rien vu venir. Le matin du 15, j’étais absent de Paris pour des funérailles et j’ai passé l’après-midi à apprendre par la presse ce qui m’arrivait et à répondre à ses questions.
Vous n’avez eu aucun contact avec vos collègues de l’UMP ? Vous n’avez pas appelé Jean-François Copé ?
Zéro contact, ni avec Copé, ni avec personne de mon parti. J’ai entendu parler à la radio de mon exclusion, tout comme de mon retrait d’investiture, sans jamais avoir été averti officiellement. Je n’ai pas contacté Jean-François Copé. Il faut dire qu’il m’a emmerdé sans arrêt quand il était président du groupe et que je ne le tiens pas en très grande estime. D’ailleurs, je n’ai pas son numéro. De toute façon, ce qui a été décidé ce jour-là, c’était de me retirer l’investiture sans même m’en parler.
Comptiez-vous vraiment sur cette investiture officielle de l’UMP ?
En fait, j’étais déçu par le fonctionnement de l’UMP et assez peu enthousiasmé par le bilan du quinquennat. Début novembre, j’ai fait savoir que je ne voulais pas me représenter. Ils m’ont demandé d’être candidat quand même et sont revenus à la charge. Contrairement à ce qu’on raconte, ma circonscription est difficile, et pas du tout acquise à la droite.
La meilleure façon de ne pas être exclu d’un parti, n’est-ce pas de ne pas s’y inscrire ? Personne ne vous a obligé à adhérer à l’UMP…
J’ai adhéré à l’UJP (Union des jeunes pour le progrès) en 1968, au RPR en 1977 et à l’UMP au moment de sa création : bref, je suis un gaulliste de toujours. Et je suis resté dans le même parti, par fidélité. Mais j’ai été déçu et même blessé. J’étais présent, dans ce bâtiment de l’Assemblée nationale où nous parlons en ce moment, quand Éric Zemmour a été reçu et acclamé par mes collègues pour avoir tenu des propos libres même s’ils étaient passibles des tribunaux. Alors, comprenez que le lâchage des miens aujourd’hui me fasse très mal.
Comment expliquez-vous cette différence de traitement entre Zemmour et vous ? Cela signifie-t-il qu’il est plus facile d’avoir une parole libre sur l’immigration que sur l’homosexualité ?
Évidemment ! Au sein de l’UMP, le lobby gay, dont « Gaylib » est la partie visible, mais qui ne le résume pas, a pris une importance considérable. Je suis constamment harcelé par son activisme. C’est à cause des pressions de ce lobby qu’en 2007, j’ai dû me présenter sans l’investiture de mon parti. En réalité, je ne m’intéresse pas particulièrement à la question de l’homosexualité, mes travaux parlementaires portent sur tout autre chose et je m’exprime très peu sur ce sujet. Il m’est même arrivé de m’autocensurer sur le mariage gay pour ne pas être mal compris. En dépit de cela, mes propos ont été systématiquement déformés : par exemple, quand j’ai dit que le mariage gay était une « aberration anthropologique », on a fait comme si j’avais parlé de l’homosexualité dans son ensemble, ce qui est absurde. Le plus grave n’est pas que ce lobby me calomnie et me persécute, ni même qu’il fausse le fonctionnement démocratique de l’UMP en obtenant l’exclusion d’un élu sur la base de fausses informations, mais qu’il fasse dévier mon camp de la ligne politique et des valeurs qui sont les siennes.
Mais est-ce que vous ne fantasmez pas sa puissance, comme certains fantasment l’existence d’un lobby juif qui tirerait les ficelles dans l’ombre ?
Écoutez, toute réticence à l’institutionnalisation de l’homosexualité suscite des ripostes aussi injustes que disproportionnées. Cela devrait suffire à démontrer la puissance de ce lobby. Quoi qu’il en soit, je refuse qu’il m’interdise d’exprimer un point de vue contraire au sien.
Vous n’avez pas répondu : à l’UMP, la parole est-elle plus libre sur l’immigration que sur l’homosexualité ?
C’est certain ! Je n’aurais pas fait la blague vaseuse de Brice Hortefeux − « Quand il y en a un, ça va, c’est quand … » − et il n’a pas eu tant de problèmes à l’intérieur du parti. Je n’ai aucun problème avec les immigrés et je n’en ai pas non plus pour parler de politique d’immigration et d’identité nationale. Je me rends à la mosquée pour l’Aïd, je parle volontiers des valeurs familiales aux fidèles réunis pour l’occasion. On se comprend très bien.
Voulez-vous dire que, sur le plan des valeurs familiales et des mœurs, vous vous sentez plus proche de l’islam que du libéralisme occidental ?
En tant que catholique, je me sens très loin de l’islam. Le catholicisme a eu la chance de séparer très vite les pouvoirs – même si, avec leur césaro-papisme byzantin, les chrétiens d’Orient ont eu moins de chance. Quant aux musulmans, ils ne font aucune différence entre les deux. Sur la place des femmes, le dogme ou la charia, je me sens très éloigné d’un musulman, mais si nous parlons de famille ou de filiation, je peux me sentir plus proche de lui que de certains membres de ma « communauté ».
Pardonnez-nous de revenir en arrière, mais on ne vous a pas entendu crier très fort contre Hortefeux et ses « Auvergnats » en surnombre…
Je ne tire pas sur les copains, moi ! Au RPR, c’était souvent dur, mais quand l’un des nôtres était à terre, nous étions solidaires. Dans un parti, on s’entraide, enfin on devrait. J’ai rendu des coups à Yves Jégo ou à Rama Yade, qui avaient demandé ma tête, mais sinon, je m’abstiens de participer aux curées.
Qu’est-ce qu’elle vous avait fait, Rama Yade ?
Elle m’accusait de prôner une alliance avec le Front national. Or c’est justement pour mieux combattre le FN que je me bats pour l’existence d’une aile dure au sein de la droite de gouvernement, exactement comme il y en a une chez les Républicains américains. Cette position m’a valu une énième demande d’exclusion de la part de Rama Yade. Alors quand elle a dit une bêtise, je l’ai flinguée à mon tour. C’était de bonne guerre.
En tout cas, vos copains de la Droite populaire ne vous ont pas vraiment soutenu…
Au début, c’est vrai, mais ils avaient été désinformés. Le midi, l’affaire était bouclée et ils ont tous signé la lettre envoyée par Mariani qui agissait sur commande. La rapidité de la manœuvre me laisse penser que l’ensemble de l’opération était un coup monté. Quoi qu’il en soit, la plupart de mes collègues de la Droite populaire sont revenus sur leurs déclarations par la suite.
Revenons à l’objet primitif du délit : sans vouloir instruire de procès ni allumer de bûcher, ne croyez-vous pas que, dans la fameuse vidéo, vous mélangez les genres ? Si on peut vous suivre (ou pas) quand vous défendez les intérêts de la société, on ne voit pas l’opportunité de votre discours sur les homosexuels. Comprenez-vous que des gens, dont des homosexuels qui se foutent pas mal du mariage gay, soient choqués quand vous mêlez une parole politique et un jugement personnel, comme par exemple vos considérations sur le narcissisme comme caractère gay ?
Vous avez raison. D’abord, « les homosexuels », ça ne veut rien dire. Il y a toutes sortes d’homosexuels et d’homosexualités et, encore une fois, ce n’est pas mon problème, je ne vise pas les personnes mais les associations et leurs manœuvres politiques. Mais c’est mon défaut, je sors de mon rôle, je fais le prof de philo et je ne peux plus m’arrêter. Hors politique, je m’interroge sur d’éventuelles relations entre narcissisme, refus de l’altérité et homosexualité. Ce sont des sujets d’analyse intéressants, mais qui agacent dans la bouche d’un responsable élu, j’en conviens.
Quoi qu’il en soit, vous êtes un homme de liberté : or, la liberté sexuelle est réprimée dans tous les régimes autoritaires, alors qu’elle accompagne partout les avancées démocratiques. Du reste, les partis dits « populistes », qui fleurissent partout en Europe, défendent la liberté des mœurs comme une valeur occidentale qui a enrichi les droits de l’homme…
Eh bien, je ne suis pas du tout sur cette ligne ! Je suis un conservateur catholique, voire un néoconservateur de type anglo-saxon, un pessimiste historique qui pense que l’Histoire a tendance à régresser. Je crois au progrès technique, pas au progrès moral.
Si vous en aviez la possibilité, vous reviendriez sur le Pacs – que la majorité de votre parti n’a d’ailleurs pas voté lors de son adoption à l’Assemblée ?
Naturellement ! J’estime que le Pacs est, pardonnez-moi l’expression, une connerie. Mais la droite s’interdit par principe tout retour en arrière. Elle a si peu d’idées, si peu de valeurs qui lui soient propres et tellement peur du moindre discours idéologique qu’elle n’est plus que la pâle copie de la gauche avec vingt ans de retard. C’est une ligne indéfendable. Dans cette dérive constante vers la gauche, ceux qui, au sein de l’UMP, restent fidèles à des positions et à des valeurs se retrouvent bien malgré eux aux extrêmes puisque le conservatisme devient un extrémisme. D’une façon générale, la droite ne pense plus. Ainsi, Madelin a été marginalisé à cause de son goût pour le débat idéologique. Il y a pourtant des idées à défendre…
Lesquelles ?
Eh bien, si nous sommes pour l’efficacité économique et la liberté, nous devrions aussi porter des valeurs morales, à commencer par la responsabilité, contre le laxisme et le libertarisme. Mais on dirait que le corpus historique de la droite fait peur à une partie de la droite. Quand Nicolas Sarkozy veut dénoncer une idée, il dit que c’est une idée conservatrice. Et quand il veut se faire bien voir, il montre qu’il lit des philosophes de gauche.
Vous qui avez longtemps enseigné la philosophie, comment expliquez-vous cette vacuité idéologique de la droite française ?
C’est une tradition chez nous. La droite a toujours préféré le notable local, bon gestionnaire attaché à résoudre des problèmes concrets par des moyens techniques et peu sensible au monde des idées, à l’intellectuel. Si l’on excepte l’extrême droite et les maurassiens ou les démocrates-chrétiens comme Maritain ou Mounier, il y a peu de penseurs à droite et leur influence est assez faible, même dans leur propre camp. Cette situation s’explique sans doute par le fait que l’enseignement soit depuis toujours dominé par des milieux de gauche. En tout cas, des générations d’hommes politiques, même marqués à droite, ont été influencées philosophiquement par la gauche – et parfois formatées par une pensée mal digérée. Regardez le débat sur les gender studies : Luc Ferry a écrit des âneries dans Le Figaro et Luc Chatel en parle comme d’une pensée scientifique. C’est consternant.
Comment avez-vous échappé à ce formatage ?
Vous connaissez la fameuse formule sur Sartre et Aron : eh bien moi, j’ai toujours préféré Aron ! En clair, j’ai toujours été de droite. J’ai étudié la philosophie à l’université de Lille, où l’enseignement était très marqué à gauche, jusqu’à la découverte d’Aron. La lecture des Étapes de la pensée sociologique m’a complètement libéré. J’aimais qu’on me parle de Tocqueville et de Weber, pas seulement de Marx et de Hegel.
Pour finir, Christian Vanneste, êtes-vous homophobe ?
Cela me sidère de devoir répondre à cette question ! Clairement, je n’ai rien contre les homosexuels : chacun fait ce qu’il veut dans sa vie privée et tant que les choix individuels ne deviennent pas des revendications sociales, cela ne me pose aucun problème. En revanche, je suis farouchement opposé à toute forme d’institutionnalisation de l’homosexualité, qui me paraît contraire aux intérêts profonds de la société. Pas de mariage, pas d’adoption, même pas de Pacs : cela décourage l’engagement chez les « hétéros », comme on dit, et favorise la précarité. Parce que j’ose dire cela, je subis depuis des années une véritable chasse aux sorcières de la part du lobby gay. Mais ne revenons pas là-dessus : en fait, je suis un conservateur classique. C’est déjà suffisamment grave, non ?[/access]
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