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Christian Lacroix: la nostalgie d’ailleurs

Entretien avec Christian Lacroix


Christian Lacroix: la nostalgie d’ailleurs
Christian Lacroix © Mantovani / Gallimard / opale.photo

Après avoir marqué de son nom le monde de la haute couture, Christian Lacroix l’a imposé à l’univers du décor et du costume de scène, à l’opéra et au théâtre. Il a récemment signé sa première mise en scène d’opéra avec La Vie parisienne d’Offenbach, empreinte de rêve et de nostalgie. Entretien avec un créateur de génie. Propos recueillis par Yannis Ezziadi.


Causeur. Lorsque l’on regarde votre travail ou que l’on écoute vos interviews, la nostalgie paraît très présente. Cette nostalgie, ce passé rêvé sont-ils un moteur pour vous ?

Christian Lacroix. Oui, je dois dire que je fonctionne beaucoup à partir du passé, que j’ai longtemps préféré le rétroviseur. Mais comme le dit joliment le titre du livre de Simone Signoret – que je n’ai pas lu ! –, « la nostalgie n’est plus ce qu’elle était ». C’est d’ailleurs une bizarre alchimie qui ne fonctionne que jusqu’à un certain âge et ne se porte que sur les vingt ou trente premières années de notre vie, sinon les dix premières seulement, celles où tout se décide, se forme, s’enregistre. Et c’est beaucoup sur cette banque d’images, constituée très tôt dans les vieux livres, albums, magazines, tableaux, gravures, musées, impressions, etc., que j’ai fonctionné et fonctionne encore aujourd’hui. J’ajouterai que, si je suis nostalgique des années 1960, je le suis encore davantage des décennies qui ont immédiatement précédé ma naissance et que je n’ai donc pas connues. Et contrairement à la jeune génération actuelle, je n’ai aucune nostalgie pour les années 1980-1990 que j’ai vécues sans grand enthousiasme.

Fantasmer des époques que vous n’avez pas connues, est-ce pour vous un moyen d’échapper à la réalité ?

Tout à fait, le temps et l’espace aussi, tout ce qui vient d’ailleurs, qui est exotique. Mais oui, ce refuge du « grenier » a longtemps été une façon d’échapper, sinon à la réalité, du moins au quotidien. J’ai toujours trouvé du sel, des pépites, des motifs de plaisir, de bonheur et de connaissance dans la réalité. Par contre, la routine manquait d’apparat, de sophistication, d’allure et je préférais les salles des musées, les livres d’art, les albums de photos anciennes à scruter comme pour traverser le miroir, telle Alice, suivre le fil rouge de tout ce qui pouvait m’être une sorte de machine à remonter le temps, me créant ainsi un espace-temps personnel. Mais la nature – dès que je m’éloignais d’Arles – ou les villes étrangères me donnaient aussi cette échappatoire, cet escapism comme disent les Anglais. Un jardin secret plein de « paradis perdus ».

A lire aussi : La nostalgie n’est plus ce qu’elle était…

Vous semblez trouver votre liberté de création tout en respectant des codes et des traditions. La tradition est-elle selon vous une chose importante pour avancer ou un carcan dans lequel il serait dangereux de s’enfermer ?

Je dois tromper mon monde alors, ou avoir une démarche plus complexe que cela, car je n’aime de la tradition et des codes que l’artifice, l’apparence, le spectacle, l’esthétique. J’en aime les mystères, les énigmes, ce qui m’est étranger par goût du « pittoresque », de l’« exotisme » justement. En revanche, pour moi, le fond, le dogme, les codes et les traditions sont des chapes de plomb, des carcans dont il faut se débarrasser. Ils sont faits pour être outrepassés par l’innovation, la créativité, l’invention, ce que l’on ne connaît pas encore. J’aime et respecte une forme de règles, de lois si elles sont sans cesse remises en question, en évolution, perfectibles chaque matin. J’aime quand le costume des Arlésiennes évolue, comme il l’a toujours fait, sans rester figé dans un moule artificiel, naphtalinisé où on voudrait le contraindre. Bien sûr, ce sont des démarches délicates, à l’opposé de toute édulcoration, simplification, abâtardissement. Ainsi je préfère le costume xixe au costume xxie, idem pour le torero, le costume goyesque, bien réinterprété, ce qui est rare, est plus beau que


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Mai 2022 - Causeur #101

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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