Amateurs de vrais romans noirs, vous qui êtes un peu fatigués des thrillers obèses avec des vampires nazis télépathes ou des polars scandinaves qui ont le plus souvent deux cents pages de trop[1. Comme si les personnages tétanisés par le froid avançaient au ralenti !], faites-vous plaisir avec Money Shot de Christa Faust dans la collection Néonoir de Gallmeister. Néonoir a eu la bonne idée de se souvenir que dans l’offre pourtant pléthorique du polar aujourd’hui, les amateurs de Goodis, de Thompson ou même de Westlake était un peu orphelins, comme si on avait oublié les histoires de personnages ordinaires soudain empêtrés dans une série de catastrophes, ce qui est l’ADN du roman noir.
Dans Money Shot de Christa Faust, Gina Moretti est une ancienne star du porno connue sous le nom d’Angel Dare. Elle a décroché quand il fallait, vers la trentaine, et tient une agence pour jeunes actrices afin de leur éviter les pièges d’un milieu qui a ses margoulins, ses psychopathes et autres salopards. Christa Faust, comme souvent les auteurs de roman noir, sait de quoi elle parle puisqu’elle a travaillé dans les peep-show de Time Square et l’industrie du porno avant de se reconvertir dans l’écriture (plus de dix romans au compteur) et de scénarios de séries télévisées.
À travers le personnage d’Angel Dare, elle tient un discours assez original sur le porno, ou disons un discours qui serait mal vu dans la France néo-puritaine des années 10. Son héroïne est un genre d’Ovidie, de féministe pro-sexe et les ennuis qui lui arrivent, dans Money Shot (titre qui vient de l’argot pornographique et que nous nous abstiendrons de traduire ici) n’ont pas tant avoir à cause du porno lui-même que de ceux qui veulent en tirer le maximum d’argent tout de suite sans la moindre considération morale.
Angel accepte ainsi un beau jour de rendre une dernière fois service à un vieux copain metteur en scène et d’aller le dépanner sur un tournage pour remplacer une actrice défaillante. C’est évidemment un piège. Elle est battue, violée, torturée et laissée pour morte dans le coffre d’une Honda Civic. En plus, elle s’aperçoit qu’on l’accuse du meurtre de son copain metteur en scène. Elle ne trouve pour l’aider que l’ancien flic qu’elle vient d’engager pour la sécurité de son agence. C’est un « Irlatino », mélange d’Irlandais et de Latino qui a le « gêne catholique » comme il dit. Il est taiseux, efficace, a été viré de la police pour des motifs plus ou moins avouables et surtout trouve toujours des solutions, comme lorsqu’il fait soigner clandestinement Angel dans le cabinet d’une dominatrice spécialisée dans le fétichisme chirurgical (si, si..) et qui se révèle une excellente praticienne.
Money Shot, on nous passera l’expression, est un roman qui ne débande pas. La cavale et l’enquête menées de fronts laissent le lecteur essoufflé et le personnage d’Angel qui se révèle une narratrice insolente, teigneuse, drôle et émouvante donne à l’ensemble une énergie rageuse, c’est-à-dire exactement de ce que recherche le lecteur quand il a besoin de deux heures de plaisir solitaire.
Money Shot de Christa Faust (Gallmeister, collection Néonoir, 2016).
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