Avis aux amateurs de mélancolie en laine polaire qui préféreront toujours Un singe en hiver à Pas de printemps pour Marnie, L’été meurtrier ou Légendes d’automne uniquement par snobisme saisonnier : Winter Games est pour vous. Cet album a été enregistré en hiver, au milieu d’un cimetière sibérien (pour une meilleure réverbération), par une nuit de pleine lune (pour les bonnes ondes). Je ne suis pas sûr de ces deux dernières assertions et pourtant : plus triste et majestueusement beau, tu meurs enneigé. Mais c’est le lot des artistes inspirés par Nico, comme l’est Chris Garneau.
Non seulement cette nouvelle livraison du chanteur originaire de Boston révèle les chants d’une âme de cristal à la mélancolie scarifiée (« Pas grave » et son archet crissant sur les veines de spectres égarés, « Winter Song N°2 » et ses hululements médiévaux, « Danny » qui nous rappelle un Christophe capable de flotter dans l’éther ouaté), mais l’auditeur sent ici une réelle et profonde désolation immanente, qui ne relève pas de la pose affectée ou de l’exercice de style.
Et la question se pose alors : Mais quelle est l’origine de la résignation traumatique de Chris Garneau ? Le chanteur a donné un début de réponse lors de son récent passage dans l’excellente émission de France Inter « Ouvert la nuit » : cela remonte à son enfance, période pendant laquelle il a fréquenté des… écoles françaises. En effet, à l’âge de 7 ans, le jeune Garneau s’est retrouvé à l’école primaire de notre éducation nationale, dont les méthodes d’enseignement et techniques d’apprentissage lui ont laissé des traces indélébiles : « Ce qui m’a le plus surpris, c’était l’école, c’était beaucoup plus strict qu’aux États-Unis. J’ai été jeté dans une école française normale et ça a été un véritable choc : la couleur du stylo que vous devez utiliser, le bon cahier, « Christopher tu es pénible, mais qu’est-ce que tu fais-là ?! », etc. »
Ceci dit, le chanteur peut s’estimer heureux d’avoir échapper aux profs lanceurs de craies et aux pédagogues allumés qui collaient des paires de claques aux élèves dubitatifs devant l’équation à trop d’inconnues inscrites sur le tableau.
Ami Garneau, sache que rien n’a changé aujourd’hui. En effet, au moment où j’écris ces lignes, ma fille – je vous jure que c’est vrai comme disait Desproges – cherche son crayon de papier pour faire ses devoirs. Moi : » prends un stylo si tu ne le trouves pas ». Elle : « ben il me faut un stylo bleu ». Moi : « prends un stylo noir ». Elle : « ben j’ai pas le droit ». Comment s’étonner avec ça de l’incapacité de la France à exporter autre chose que l’important niveau d’anxiété de ses élèves (inquiets pour leur avenir dans l’hexagone surtout).
Pour en revenir à Winter Games, ce nouvel album ouvre un nouveau champ de perspectives pour Garneau : aussi paradoxal que cela puisse paraître, on sent ici une volonté de sa part de présenter une œuvre plus accessible, ouverte au grand public, moins indie-underground qu’auparavant. Et même si l’objet souffre d’une trop grande linéarité – malgré de belles fulgurances et la bonne tenue générale des compositions – il ne peut laisser froid personne.
Chris Garneau s’était déjà fait remarquer en 2009 avec El Radio, son deuxième album. Cet ensemble conceptuel de pop baroque se terminait par un triptyque éloquent : « Winter Songs »… Tout le monde a ses petites obsessions, mais comme le dit l’artiste lui-même : « C’est pas grave » :
Pour aller plus loin :
Dans la même galaxie revendiquant l’influence de l’icône Nico, à découvrir également : Soap&Skin et Majeur.
Chris Garneau, Winter Games, Clouds Hill (sortie le 14 avril 2014)
*Photo: Album Winter Games, Chris Garneau.
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