La navrante affaire de la RATP aura au moins eu une vertu : nous rappeler l’amnésie collective qui frappe une partie du Vieux continent. Et pas simplement ses élites. La transhumance spirituelle de « gaulois », nés et élevés dans le christianisme, puis brusquement convertis à l’islam version djihadiste, manifeste de façon paroxystique la déshérence culturelle dans laquelle nous baignons. Une France réduite au fameux plébiscite de tous les jours, qui s’apparente de plus en plus à un contrat signé entre colocataires contraints et forcés, ne sait ni d’où elle vient ni où elle va. Il y a une dizaine d’années, les sages membres de la Convention pour l’avenir de l’Europe avaient tranché : l’héritage de l’Europe n’est pas plus gréco-latine que chrétien, l’UE devant borner son identité aux ponts qui ornent nos billets en euros. Même topo pour les chrétiens d’Orient, inspirateurs d’une fraternité supposément identitaire, donc coupable. Heureusement, le Pape François vient de remettre les pendules à l’heure en dénonçant, cent ans après, le « génocide arménien » en écho à l’épuration religieuse en cours sur les rives du Tigre et de l’Euphrate.
Au micro de Jean-Jacques Bourdin la semaine dernière, l’éditeur et philosophe des religions Jean-François Colosimo n’a pas économisé ses critiques à l’encontre de la lâcheté française. Ce sentiment vil et égoïste nous fait abandonner les chrétiens orientaux comme des « petits frères égarés » indignes de notre solidarité : pas assez exotiques pour enflammer les défenseurs des sans-papiers, moines tibétains et Indiens d’Amazonie, mais sans doute trop arabisés pour susciter le flot de compassion qui submerge nos compatriotes dès que des touristes occidentaux périssent dans un tsunami. Sinistre sort. Les descendants des premiers chrétiens, aujourd’hui livrés à la violence ciblée de l’Etat islamique, sont bel et bien devenus les « hommes en trop » d’un monde arabe qu’ils ont en grande partie façonné, enrichi de leurs apports culturels et révolutionné grâce à leur participation aux mouvements de libération nationale des XIXe et XXe siècles.
Ne dénonçant qu’un vague « génocide culturel » à la tribune de l’ONU, le gouvernement français se comporte « comme une ONG », d’après l’expression qu’a employée Colosimo : 1500 visas accordés, cela ne fait pas une politique. Non qu’il faille ouvrir encore davantage nos frontières à ces pauvres hères déracinés. La France ne peut ni ne doit accueillir toute la misère du monde. Bon sang, ces chrétiens ont un nom, une adresse, une identité irréductibles qu’il s’agit de respecter, au lieu de les entasser à Sarcelles, comme certaines chaisières fort bien intentionnées rêveraient de le faire. Il n’est de grande politique que géostratégique. Aussi, tant que notre diplomatie refusera de se donner les moyens d’agir en faveur des minorités du Levant, Hollande, Valls et Fabius pourront verser toutes les larmes de crocodile du monde sur la tragédie des chrétiens. Au risque de singer Colosimo, j’insiste sur un point sensible : seul l’engagement de troupes militaires au sol, y compris en Syrie, en sus des bombardements au-dessus de l’Irak, pourrait garantir la sécurité des foyers chrétiens de la région et combattre efficacement Daech. Jusqu’ici, ces pauvres chrétiens n’ont d’autre option que l’exil ou la réclusion avant la capitulation, type Fort Chabrol.
Il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut, disait le Général. Evidemment, un tel coup de collier exige une complète refonte de notre politique étrangère. Oubliées les accolades avec l’émir du Qatar, grand mécène du salafisme devant Allah miséricordieux, les contrats d’armements juteux avec l’Arabie Saoudite, et l’alignement systématique sur une OTAN qui, nolens volens, tolère en son sein une Turquie base arrière de l’Etat islamique. Hélas, on imagine mal Fabius tonner contre Ankara avec la même vigueur que les autorités tunisiennes, lesquelles ont légitimement rappelé au gouvernement turc ses devoirs dans la lutte contre le terrorisme . Car, comme l’a brillamment exposé Luc Rosenzweig, nos gouvernants s’entêtent dans le développement d’un axe diplomatique sunnite qui ne signifie plus rien à l’heure de la barbarie da’echiste. Sur le terrain, ce sont les gardiens de la Révolution iraniens, les milices chiites irakiennes et les troupes du Hezbollah qui assurent encore la prééminence de l’armée syrienne sur les djihadistes et font refluer l’Etat islamique en Irak. De larges pans de ces guerriers chiites ne sont sans doute guère fréquentables aux yeux de démocraties légitimement attachées à la sécurité d’Israël et à la stabilité de la région. Mais que dire des pétromonarchies sunnites alliées de l’Occident? Devant Bourdin, Colosimo n’a pas manqué d’énoncer une évidence : les juifs et chrétiens Iraniens peuvent pratiquer leur religion, contrairement aux esclaves philippins qui suent le burnous dans les pays du Golfe sans aucun droit cultuel.
Nos « socialistes » néoconservateurs feraient bien d’y réfléchir à deux fois avant de prononcer de grandes phrases définitives sur l’avenir de la Syrie ou les ambiguïtés (réelles) de l’Iran. La signature – certes, au forceps – de l’accord cadre de Lausanne augure peut-être d’une reconfiguration globale du Moyen-Orient. Même le guide Ali Khamenei, entre deux sorties pessimistes, s’est hasardé à déclarer qu’il n’excluait pas d’aborder les dossiers yéménites, libanais, syrien et irakien avec ses interlocuteurs occidentaux, démentant ainsi les récents propos de son vassal Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais. Téhéran serait-il plus enclin à transiger si la question nucléaire trouvait un règlement définitif ? Il serait bon que le quai d’Orsay se pose au moins la question d’une collaboration avec les mollahs iraniens dans l’échiquier régional. Serions-nous plus dogmatiques que les Kurdes laïcs alliés à la République islamique à la faveur des circonstances ? Quand il s’agit de mettre à bas les coupeurs de mains, on ne devrait pas affecter de garder les mains propres…
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*Photo : DR. Eglise de Hama (Syrie).
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