Pour nous, il n’y a pas d’Israël. En apprenant, le 22 avril, qu’un massacre aurait pu avoir lieu dans une église de Villejuif, nombre de catholiques français ont peut-être songé au constat amer du héros de Soumission, lorsque sa compagne juive quitte la France en voie d’islamisation pour émigrer au pays du sionisme. Même s’il arrivait, par malheur, qu’un assassin moins empoté que Sid Ahmed Ghlam réussisse son coup et que des chrétiens, en France, meurent parce qu’ils sont chrétiens, la seule alyah dont ils pourraient rêver serait un exil plus ou moins doré à Londres, Miami, Melbourne voire Varsovie. On leur déconseillera le Québec où le quotidien La Presse a cru bon d’évoquer un attentat contre « les chrétiens » – entre guillemets, comme s’il s’agissait d’une tribu mythique ou d’une peuplade disparue dont on ne saurait pas si elle a vraiment existé. À choisir, beaucoup préfèreraient peut-être se faire traiter de sales chrétiens, sans guillemets. Les cathos se sentent méprisés, mal-aimés, maltraités. Ils en ont marre d’être les seuls dont on puisse se payer la tête sans risques quand il faut prendre des pincettes avec tous les autres – même les francs-macs, faut y aller mollo. Comme l’observe Fabrice Hadjadj, au moins les bouffeurs de curés reconnaissent-ils l’existence des curés.
Ce qui enrage plus encore les cathos cuvée 2015, c’est une certaine façon de nier ce qu’ils sont et de dénigrer ce qu’ils ont été, un refus de concéder à leur droit d’aînesse le moindre privilège symbolique. Chez François Hollande, c’est presque physique, on dirait que ses lèvres répugnent à prononcer le mot « chrétien ». Attention, c’est son droit le plus sacré, au Président, de ne pas aimer les bondieuseries. Et puis le chef d’un Etat laïque ne saurait accorder la moindre préséance à une minorité religieuse, ce que sont, stricto sensu, les catholiques. Seulement, ils ne sont pas que cela : la même appellation désigne aussi une majorité culturelle aux concours indécis, héritière de ce qu’on n’oserait plus qualifier de culture dominante. Du reste, le destin collectif des cathos sera largement déterminé par le choix qu’ils feront entre les deux conceptions – on y reviendra.
Qu’on n’aie crainte, nul ordre moral ne se profile à l’horizon. En revanche, la « rue catho » fait savoir avec constance qu’elle ne se laissera pas expulser du roman national. Elle veut qu’on reconnaisse que « le catholicisme, c’est la France », pas toute la France évidemment, mais peut-être son âme profonde, son « essence ». C’est le Premier ministre qui le dit : lui qui, il y a peu, dénonçait « l’ultra-droite catholique » opposée à l’avortement et au mariage pour tous, a déclaré après l’affaire de Villejuif : « S’en prendre à une église, c’est s’en prendre à l’essence de la France. » Certes, conformément à la tactique éprouvée « une cuillère pour papa, une cuillère pour maman, il a ensuite mentionné « les synagogues, les mosquées, les cimetières » comme étant également constitutifs de l’essence nationale. Reste que son hommage à la catholicité française a dû valoir à Manuel Valls quelques bénédictions en même temps que les commentaires furibonds d’une partie de la gauche. « L’essence de la France, éructe La Libre pensée, c’est d’abord le mouvement des Lumières, la Révolution française, la République, la démocratie, la laïcité et la Séparation des Eglises et de l’Etat. » L’histoire de France a commencé en 1789 et ceux qui pensent autre chose sont de fieffés réacs.
On l’aura compris, pour un esprit postmoderne, « les cathos », comme « les Français de souche », ça n’existe pas, sinon comme épouvantails ou, à la rigueur, comme vestiges folklorique d’un passé honni et révolu. Seulement, les cathos veulent exister et pas dans l’ombre comme ils l’ont fait ou croient l’avoir fait tout au long du XXème. Avec les Manifs pour tous, ils ont goûté aux joies de la pride, pas question de rentrer dans le placard. Dans la foulée, ils ont progressivement adopté les codes et les armes idéologiques de toute minorité qui se constitue en communauté agressée, statut générateur d’importants bénéfices symboliques et parfois de sérieux désagréments réels. Dans cette panoplie, la visibilité n’est que le prête-nom du sentiment victimaire qui constitue le véritable ciment de toute identité minoritaire. En fait de pride, le minoritaire exhibe ses plaies, raconte ses souffrances, recense les discriminations qu’il a subies et les offenses faites à son groupe ou à son Dieu. Le plus souvent, ça marche très bien, du moins pour les « minorités officielles » – juifs, noirs, homos, musulmans – que l’on câline à grands jets de compassion publique, fort appréciée du minoritaire. Un peu moins, toutefois, que la repentance, la légion d’honneur du minoritaire, qu’on ne sort que pour les grandes occasions.
On dira que les sentiments ont généralement quelque chose à voir avec la réalité. En tout cas, ce n’est pas parce qu’on se sent victime qu’on ne l’est pas. Et sur ce terrain, les cathos ont de quoi l’avoir mauvaise. Entre les cimetières profanés et les attentats déjoués, ils peuvent légitimement prétendre à la dignité victimaire et à la protection qui va avec. Pour la protection, il faudra repasser, on ne va pas protéger toutes les églises de France – ils n’ont qu’à être une vraie minorité. Et pour la reconnaissance, voyez plutôt à droite où on considère les catholiques comme une clientèle captive – ce qui, au demeurant est de plus en plus vrai : aucun des ténors de l’UMP ne manque une occasion de flatter le catho dans le sens du poil, qui en rappelant son rôle éminent dans notre histoire, qui en insistant avec gourmandise sur les innombrables avanies que lui fait subir l’autre camp. À gauche, on a décidément du mal à admettre que le catho puisse être une victime comme les autres : trop blanc, trop franchouillard sans doute.
Malgré la multiplication des profanations de tombes chrétiennes, le Président n’a pas jugé utile de se déplacer, ni de faire un geste, comme s’il lui était plus facile de s’émouvoir devant les tombes profanées musulmanes ou juives parce que c’est plus facile à prononcer. On notera qu’après la vandalisation de 216 tombes à Castres, le 15, le procureur s’est empressé d’affirmer que rien ne suggérait une connotation « à caractère religieux ou racial ». Rien sinon le fait que le coupable était, semble-t-il, un homme en djellabah, qui répétait en boucle des prières musulmanes. On ne va pas s’énerver pour « des dizaines de croix jetées à terre », alors que les tombes n’ont même pas été ouvertes.
Dans ce climat passablement tendu entre le monde catholique et les représentants de la République, le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme annoncé par Manuel Valls le 16 avril a mis la cathosphère en ébullition. Sur quarante mesures destinées à combattre les discriminations et les propos haineux, il y en a pour tout le monde – les musulmans, les étrangers, les homosexuels, les juifs – tout le monde sauf les catholiques ou les chrétiens. Si ce n’est pas du deux poids-deux mesures…
On conviendra que les cathos ont quelques bonnes raisons de récriminer. L’ennui, c’est que dans la foire d’empoigne victimaire où chacun défend sa paroisse et tente de prouver qu’elle est la plus persécutée, ils ont, comme tous les autres ont tendance à en faire des tonnes : une « une » un peu leste et c’est la Vendée qui recommence, un propos maladroit et les Jacobins reviennent pour détruire les églises. Et à en juger par la vogue récente du concept hasardeux de cathophobie, clairement calqué sur celui d’islamophobie, la rivalité mimétique a de beaux jours devant elle. Responsable d’une association issue de la Manif pour tous Julie Graziani est le nouveau visage médiatique du « catho décomplexé » : « On ressent comme une condescendance, qui va jusqu’à l’agressivité, sous prétexte que l’on contredit les discours dominants des élites. On en a marre de la petite cathophobie ordinaire, du catho bashing, de ce sentiment d’un deux poids deux mesures qui donne l’impression qu’avec les cathos tout est permis. » Certains pourraient être tentés de surfer sur la susceptibilité musulmane pour exiger que l’on ait pour leurs croyances des attentions et des égards jusque-là étrangers à la tradition française. Or, l’anticléricalisme, c’est aussi l’essence de la France. Or, quand il faudrait demander à l’islam de prendre exemple sur le christianisme et d’adopter la laïcité qui, pendant un siècle, a permis aux croyants et aux incroyants de vivre sous le même toit national, certains semblent plutôt rêver d’aligner les chrétiens sur le régime des musulmans.
On peut donc trouver inquiétant que des catholiques français se soient tournés vers le Vatican pour être entendus de François Hollande. En janvier une pétition demandant au Pape François de relayer auprès du chef de l’Etat « le malaise profond » des catholiques français a recueilli 100.000 signatures. Faut-il en conclure que, dans la République, on n’est même plus capable de se causer ?
Il y a plus grave : affairés qu’ils sont à améliorer leur score au palmarès de la persécution, les cathos ne voient pas le piège qu’ils se sont tendus à eux-mêmes ? En gagnant leurs galons de minorité religieuse, ils risquent de perdre définitivement leur statut de majorité culturelle. On ne peut pas éternellement jouer sur deux tableaux : entre les délices de la posture minoritaire et les privilèges
ingrats de l’ancienneté, il faut choisir. Ou on admet que le catholicisme, c’est la France et il devra alors avoir le cuir suffisamment épais pour supporter la liberté des autres et se placer au-dessus de la mêlée victimaire, ou il devient le catholicisme de France, c’est-à-dire une religion comme les autres.
Cette dernière option, qui peut être payante à court terme, serait doublement catastrophique : pour notre pays, qui se verrait amputé de son passé et condamné à adopter un multiculturalisme qui lui va mal au teint, et tout autant pour les cathos, à qui la République a appris – parfois à la dure – à conjuguer foi et raison. En réalité, il y a bien un Israël pour les catholiques : cette Terre promise, c’est la France.
Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°24. Pour lire l’intégralité du magazine, cliquez ici.
*Photo : ALFRED/SIPA. 00596781_000029.
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