« Nous tendons toujours aux choses défendues et convoitons ce qui nous est interdit », écrivait le païen Ovide. Si nous avions médité cette phrase comme il convient, bien des clichés sur le christianisme se seraient dissipés dans l’air. Nous aurions évité de nous livrer à des interprétations salonardes sur la religion préférée du pape, ou de répéter cette idée nietzschéenne – merveilleuse sous la plume de Nietzsche, mais effroyable dans la bouche de ses disciples – suivant laquelle le christianisme aurait porté atteinte au désir. Disons plutôt que Jésus-Christ nous a permis de renouveler notre stock d’interdits. Le christianisme nous a délivrés de cette croix : savoir ce qu’il ne faut pas désirer. Nous avons donc écouté les prêtres, et nous nous sommes mis à convoiter les choses en cachette, conformément à la loi universelle du désir.
On dira qu’une telle civilisation s’est illustrée par une série de méfaits historiques. Il est certain que la religion chrétienne ne nous a pas rendus moins bêtes et moins violents que tous les autres. Sur le plan général, qui est celui de l’amélioration de l’espèce humaine, la chose est sans espoir. Du moins avons-nous développé de mauvais sentiments en nous-mêmes, ce qui nous a permis d’écrire de bons livres.
Aussi est-il désolant d’entendre l’ancien locataire de la place Beauvau évoquer le christianisme en termes de valeurs. Cette bondieuserie me heurte. Elle semble accréditer la thèse que notre civilisation est supérieure en raison desdites valeurs, ce qui prouve que certains chrétiens ne comprennent rien à leur propre religion. C’est évidemment ennuyeux, surtout lorsque l’on prétend prendre sa défense. Le bigot entend éclairer l’avenir à coups de valeurs et de convictions morales. Le vrai chrétien n’a pas cette certitude. Comme Pascal, comme l’immense Kierkegaard, il sait que la certitude est une vaste plaisanterie. Le prêchi-prêcha christianisant de droite paraît conforme à notre civilisation chrétienne, elle n’en est que la face malhonnête et lugubre. La bondieuserie se trompe sur le bon usage des interdits, mais Dieu, qui est un grand pervers doublé d’un grand artiste, reconnaîtra les siens.
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