La forteresse assiégée, c’est fini. Oubliez communistes et nazis, le nouveau péril américain est blanc et il aime un peu trop Jésus. Les producteurs de séries ou de jeux-vidéos américains en ont, semble-t-il, une sainte peur.
« Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y céder », selon Oscar Wilde. L’Amérique des élites serait-elle tentée par le fondamentalisme chrétien ? La République protestante, qui s’est pensée gendarme du monde, semble à la fois fascinée et préoccupée par un avenir placé sous le joug religieux et sécuritaire, et cela se traduit à l’écran. Fini les nazis réfugiés en Amérique du Sud, le réseau dormant d’espions communistes, les traditionnels super-vilains des bandes-dessinées Marvel ou les terroristes de l’Axe du Mal. L’Amérique se tourne vers elle-même : cette fois-ci, le nouveau super méchant est le fondamentaliste chrétien. Le divertissement proposé par les producteurs américains ressemble aujourd’hui à un processus cathartique, pour purger l’Amérique de passions fanatiques. En résultent des scénarios dystopiques et oppressant à coup de fanatiques blancs obsédés par la repentance, qui veulent remplacer l’application de la Constitution par une lecture littéraliste de la Bible. Trois phénomènes médiatiques témoignent de cette tendance : la série La Servante Ecarlate, la saison 2 d’American Horror Story et le jeu-vidéo Far Cry 5.
La Servante écarlate, les fondamentalistes voient rouge
Grâce à un coup d’Etat, la secte des Fils de Jacob prend le pouvoir et impose une société patriarcale et fondamentaliste aux Etats-Unis. Oubliez les citoyens faits d’or, d’argent et de fer de la République de Platon. Dans celle de Gilead, il y a les habits bleus pour les femmes de commandant, les gris pour les servantes, et les rouges pour les femmes qui ne sont que des ventres.
Le spectateur est assailli par la cruauté, le stupre et le manque d’espoir de cette société dystopique, qui adopte une lecture curieusement littérale de la Bible. Pourtant, la recette de femmes esclaves sexuelles, cernées de milices et de pseudo prophètes marche du feu de dieu : l’audience a doublé pour la deuxième saison. Le succès de la série a provoqué un retour en force du roman de Margaret Atwood dont il est adapté et colore les protestations : des militantes ont revêtu l’habit rouge et la coiffe blanche au sénat du Texas durant les débats sur les projets de loi anti-avortement.
Sobering visualization of every abortion restriction on the books in Texas — #txlege #fightbacktx #handmaidstale pic.twitter.com/t2cwziPJDw
— Alexa Garcia-Ditta (@agarciaditta) 9 mai 2017
L’Amérique de Trump et de #MeToo est donc fascinée voire inquiète d’un possible avenir sous le joug de mâles blancs fondamentalistes. Et les femmes alors ?
American Horror Story, les nonnes en horreur
Pour les femmes, il y a la terrifiante saison 2 d’American Horror Story – Asylum. L’action, qui se déroule dans les années 60, est particulièrement effrayante.
L’asile de Briarcliff est géré par la dévouée Sœur Jude. Obsession de la repentance, « folie comme une crise spirituelle causée par l’absence de dieu », électrochocs, démon, viol… 2,6 millions de spectateurs en moyenne aux Etats-Unis se sont abreuvés de ce cocktail détonant. Le site Rotten Tomatoes – qui donne la tendance en matière de critique – ose le parallèle : « American Horror Story- Asylum dépasse les limites pour choquer et faire peur avec […] un angle innovant sur les problèmes de la société actuelle. » Ces problèmes font écho à un pays qui pratique le repli sur soi avec des retraits d’accords internationaux à la chaîne, où les « faucons » belliqueux sont de retour au premier plan, sous l’ère d’un président qui a le soutien des conservateurs religieux. Grâce à American Horror Story, le spectateur serait ainsi épuré de toute « mauvaise » passion fondamentaliste et l’ordre réel en ressortirait préservé.
Far Cry 5 a peur des fondamentalistes blancs
Ce besoin d’épancher des élans fanatiques, exprimé par les producteurs américains, n’est pas confiné aux séries et touche aussi le monde du jeu-vidéo. Certains amateurs de jeux de tir à la première personne (FPS, first person shooter) ont été surpris en découvrant le nouvel opus de la licence Far Cry, cette année. Après le monde préhistorique de la série dérivée (spin-off) Far Cry Primal, place à l’époque contemporaine dans Far cry 5, où l’ennemi est, là encore, un groupe de fanatiques chrétiens. La publication du poster officiel du jeu (key art) a donné le ton : il s’agit d’une reconstitution de la Cène avec le protagoniste Joseph Seed à la place de Jésus, semblant inviter à la prière avec une bible ouverte sur un drapeau américain revisité par les fondamentalistes, au milieu de barbus blancs armés jusqu’aux dents.
Plongé dans la petite ville de Hope County, dans la forêt du Montana, au milieu des tracteurs, canettes de bière, animaux sauvages et gros bras en tee-shirt aux couleurs du drapeau américain ou en chemise à carreaux, difficile de ne pas penser aux « redneck » (nuque rouge) – vous savez ces péquenauds américains accusés d’avoir porté Donald Trump au pouvoir. C’est là où le bât blesse. Plusieurs amateurs de la franchise se sont sentis cloués au pilori et n’ont pas apprécié que le rôle de l’ennemi à abattre soit incarné par un mâle blanc, auto-proclamé prophète chrétien, imposant sa vision eschatologique du monde. Le jeu montre la face d’un pays qui se replie sur lui-même pour mieux se protéger.
Comme si cette catharsis de masse n’avait pas suffi à soigner l’Amérique, la Servante écarlate, ses religieuses fanatiques et ses versets détournés sont sur le point de revenir dans une troisième saison. Quant aux limites entre fiction et réalité, à vous de vous forger une opinion sur la saison 7 d’American Horror Story – Cult (« secte » ou « objet de culte ») : elle fait de l’Amérique sous l’ère Trump son nouveau théâtre de l’horreur…
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