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Choses vues en Ossétie du Sud


Choses vues en Ossétie du Sud

1 J’arrive à Moscou, aéroport de Cheremetievo. L’été russe est beau. Je fais les 60 kilomètres jusqu’au Kremlin dans une Zil affrétée par le président Medvedev. Comment ce chef d’Etat assiégé par l’Amérique, l’Otan, les terroristes islamistes de Tchétchénie et du Daghestan, et maintenant l’agression géorgienne de ce Saakachvili couvert du sang encore fumant des Ossètes et des Abkhazes, peut-il avoir le temps et la délicatesse de penser à ce détail ?
Il fait nuit quand j’arrive dans le bureau du président de la Russie. L’homme a l’air tendu, mais souriant. De beaux cernes indiquent les nuits sans sommeil. « Je vous remercie d’être venu. Je ne suis pas sûr que le monde nous comprenne. Je compte sur vous. Il faut leur dire. »
J’ai la gorge serrée. Maxime Gremetz, qui m’accompagne, retire ses lunettes. Il pleure franchement.
Soudain une porte dorée s’ouvre. C’est Poutine, le Premier ministre, qui vient nous souhaiter la bienvenue. Son regard est triste. Je me lève pour lui serrer la main. Il préfère une accolade. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’accolade d’un héros. Je sens l’étreinte musclée, je pense à ses années de luttes au KGB contre les agressions yankees, puis à la tête de l’Etat russe, contre les oligarques mafieux, les fous furieux islamistes de Grozny… Et maintenant le génocide perpétré par les Géorgiens appuyés par l’Otan, la CIA, les technocrates bruxellois et l’OMC. Un génocide contre un peuple courageux et fier, un peuple de bergers héroïques : les Ossètes.
– Allez les voir, me dit Poutine. Allez voir cette horreur. Témoignez.
Maxime, maintenant, sanglote carrément.

2. Vladikavkaz. Ossétie du Nord. Ce qui frappe, dans la capitale d’Ossétie du Nord, QG des forces russes de la paix, c’est la détermination de ces jeunes soldats virils venus de toutes les républiques du pays. Ils chantent joyeusement, fraternellement. On joue aux cartes et on fume autour des chars. Derrière la détente, certains regards ne mentent pas : les combats ont été durs contre les hordes sauvages de Saakachvili le fantoche. Depuis cette nuit du 8 août quand la fureur homicide de Tbilissi s’est déployée, ces soldats ont peu dormi.
« Je suis fier d’eux, me déclare le major Polikarpov. Vous savez, mon grand père est mort en arrêtant les nazis à Stalingrad. Je ne pensais pas devoir remettre ça un jour. »
Il me tend un papirosse, ces cigarettes au bout cartonné, que fume l’armée sov…, euh russe. Polikarpov a les yeux fixés sur la crête de la montagne caucasienne. De l’autre côté, c’est l’enfer. Il n’a pas besoin de me le dire. Je le vois dans ses yeux clairs de soldat de tous les combats antitotalitaires.
Maxime Gremetz tousse un peu. Il ne fumait plus, mais là l’émotion est trop forte et il a accepté le don, simple et essentiel, du major Polikarpov.

3. Tskhinvali, capitale de la courageuse Ossétie du Sud. C’est une ville en ruines comme j’en ai déjà tant vu. Bagdad, quand la garde républicaine de Saddam se battait maison par maison contre les forces du Mal yankee, Belgrade sous les bombes de l’Otan quand ce pauvre Slobodan m’adjurait de dire la vérité, là-bas, en Occident, Jenine après le rezzou sioniste de Sharon, Villiers-le-bel lors de la reprise en main par les CRS sarkozistes.
Les hélicoptères de combat, siglés de l’étoile rouge, filent dans le ciel bleu. Ils rassurent une population traumatisée depuis ces nuits tragiques, quand le déluge de feu géorgien s’est abattu.
Une vieille dame s’approche de Maxime. Son visage est ridé mais beau. Elle nous dit quelque chose. Mes rudiments d’Ossète me permettent de saisir l’essentiel. Il y avait des « conseillers » américains dans les combats. Ils ont encouragé les massacreurs géorgiens à s’acharner sur l’hôpital de la ville.
L’hôpital de la ville, témoignage du martyre ossète.
Des blessés dans les caves, partout. L’un d’eux me saisit la main. Il me parle mais mon ossète du sud, cette fois, n’est pas suffisant. Une doctoresse russe bénévole, au visage épuisé mais étrangement rayonnant, me raconte. « C’est un berger. Il est descendu des montagnes dès l’arrivée des Géorgiens. Avec quelques camarades, ils ont repoussé les blindés de la clique fasciste de Tbilissi avec leurs fusils de chasse. Ils ont gagné des heures précieuses pour permettre aux sov, euh aux Russes d’arriver et de renverser in extremis la situation. »
La doctoresse me traduit toujours.
Son profil est le profil même de la liberté, de la lutte contre l’impérialisme marchand. C’est le même que celui des doctoresses cubaines dans les barrios de Caracas où elles aident Chavez avec une abnégation qui fait honneur au genre humain.
Nous l’invitons à prendre un verre dans un des derniers cafés de Tskhinvali.

4. Gori. Gori humiliée, Gori dévastée, mais Gori libérée. La statue de Staline, l’enfant de la cité, est miraculeusement intacte, malgré la brutalité des combats. Le colonel Andropov me fait écouter, dans son QG, les communications entre unités géorgiennes à quelques kilomètres de là. De temps à autre, au milieu des interférences, on entend la voix grasse, la voix pleine de cholestérol, des « amis américains ». La voix de l’horreur.
Maxime frémit, tout comme moi.
On ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.

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Septembre 2008 · N°3

Article extrait du Magazine Causeur



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