Si la France a la phobie du chômage, c’est parce que ses entreprises ont la phobie des chômeurs. Elles préfèrent souvent débaucher des employés plutôt que de puiser dans l’important vivier de chômeurs français qualifiés et compétents.
C’est une question que personne ne semble vous poser. Pourtant, Edouard Philippe, j’ai sous les yeux pléthore de CV de candidats de grande expérience, et dont les compétences professionnelles et les qualités personnelles sont indéniables, en recherche d’emploi. Comment expliquez-vous que les entreprises ne se les arrachent pas ?
Et si on contrôlait le recrutement des entreprises ?
A l’ « offre raisonnable d’emploi » que doivent accepter les chômeurs, pourquoi ne pas opposer un principe de réciprocité, un « refus raisonnable d’embauche » aux employeurs. Pourquoi les employeurs ne seraient-ils pas, eux-aussi, suivis dans leurs sélections de candidats recrutés ? Leurs décisions sont parfois arrêtées sur la base d’a priori profondément ancrés dans la société française, comme le fait de croire qu’un candidat débauché serait plus compétent qu’un talent inemployé. Ils privilégient quasi systématiquement les personnes en poste au détriment de celles en recherche active d’emploi qui, dès lors, ne peuvent plus se réinsérer.
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Vous vous faites, Monsieur le Premier ministre, le chantre de la fin des tabous. Je vous prends au mot. Qu’attendez-vous pour agir en ce sens plutôt que d’opposer les Français sur leur âge (jeunes/ seniors) ou leur statut (salariés, chômeurs, retraités…) ? Qu’attendez-vous pour oser dire : « Oui, dans le système actuel, une personne compétente peut se retrouver, pour longtemps, au chômage (2 ans, 5 ans, sa vie restante ?). Oui, les plus méritants sont aussi touchés par ce fléau qui, dans une société culpabilisante, peut, psychologiquement comme physiquement, détruire leur vie » ?
Le développement de l’auto-entrepreneuriat n’améliore que les statistiques du chômage
Ne me dites-pas qu’en tant qu’ancien maire du Havre, vous n’avez pas rencontré la détresse de ces personnes expérimentées, techniquement compétentes, actives dans leur recherche d’emploi et, pourtant, sur le banc de touche. J’ose espérer que vous n’allez pas dépenser l’argent d’un Etat exsangue pour les faire contrôler par des conseillers Pôle Emploi n’ayant pas, pour la plupart, leur niveau de compétences !
D’ailleurs, certains d’entre eux ne vous offriront pas cette opportunité : ils sont devenus entrepreneurs (auto-entrepreneurs souvent pour tenter de s’en sortir), un statut convoité par beaucoup de nos concitoyens. Mais ces derniers savent-ils que la moyenne de leurs revenus mensuels est de 490 euros, soit un niveau inférieur à celui du RSA ? La baisse du nombre de chômeurs ne serait-elle pas, en grande partie, le résultat d’un phénomène de vases communicants, les chômeurs devenant des autoentrepreneurs aux revenus quasi inexistants ?
Vaincre la phobie du chômage
Vous savez qu’il faut fluidifier le marché du travail. Cela ne se décrète pas simplement à coups d’ordonnances. Cela suppose un profond changement de mentalité et de culture en France, notamment au sein des grandes entreprises. En cette période de profonds bouleversements et de transition, il n’y a très probablement pas, à un moment donné, suffisamment de travail rémunéré pour tous. C’est un simple état de fait, au moins à court terme. Il faut l’assumer.
Dans ce contexte, et en laissant de côté l’expatriation en tant que solution, il convient de faire tourner les effectifs pour que ceux, en poste, acceptent d’évoluer en passant parfois par une phase d’entre-deux appelée « chômage ou formation », pendant que d’autres, hors-poste, retrouvent un emploi. Ce turn-over qui devrait être naturel est bloqué par la peur du chômage au cœur du système français depuis des décennies. N’est-ce pas de votre ressort de contribuer à vaincre cette phobie ?
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Cela ne se fera pas, à mon sens, en opposant les uns aux autres, en ajoutant des mesures coercitives à l’endroit des demandeurs d’emploi, en maintenant des tabous ou en entretenant le déni mais par toujours plus de pédagogie, de courage, en sachant vous entourer de personnes empathiques ayant elles-mêmes déjà vécu des revers dans leur vie professionnelle et prêtes à en témoigner pour transformer la société française. Sans une vision lucide et juste du marché du travail, accompagnée d’un projet social compris et partagé, vos efforts risquent bien de ne pas délivrer les résultats escomptés.
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