Père Chocholski : «Je suis fier de la laïcité française»


Père Chocholski : «Je suis fier de la laïcité française»

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Prêtre catholique, Patrice Chocholski est l’actuel recteur du sanctuaire d’Ars, dédié à saint Jean-Marie Vianney (1786-1859), connu comme « le saint curé d’Ars »

Elisabeth Lévy. Dans une France que l’on croyait déchristianisée, on assiste, depuis le début des années 2000, et de façon spectaculaire avec les Manifs pour tous de 2013, à l’affirmation d’un catholicisme décomplexé, qui entend agir dans la société. Y aurait-il une re-catholicisation du catholicisme, comme on a pu observer une ré-islamisation de l’islam ?  

Patrice Chocholski. Si vous m’interrogez sur l’avenir du christianisme, je ne suis pas devin. Ce que je sais, c’est qu’il dépendra de la façon dont chaque chrétien se laissera habiter par le Christ et, en conséquence, servira ses frères dans l’universel. Or, je vois aujourd’hui beaucoup de jeunes catholiques qui expriment en toute simplicité ce qu’ils ont dans le cœur, et qui, parfois, voudraient « le crier sur les toits » à tous leurs frères humains, pour reprendre les mots d’Albert Cohen. Mais cet héritage que les nouvelles générations redécouvrent, ce trésor que je porte pour moi-même, pour mon Église et pour la société tout entière, le pape François nous rappelle que nous le recevons dans des vases d’argile, il nous habite, mais nous ne le possédons pas. C’est dit très clairement dans un document du Vatican de 1991, Dialogue et annonce : un chrétien croit en la vérité, il désire être habité par la vérité faite personne, mais il ne peut prétendre détenir la Vérité, car on ne possède pas une personne. Le catholicisme en France a eu trop tendance à donner des leçons à tout le monde. Nous devons avoir une autre attitude et partager notre trésor avec humilité.

Et que vous recommande cette humilité quand vous voyez des unes de Charlie Hebdo ridiculisant le pape ou le Christ ? De tendre la joue gauche ? 

Le chrétien n’est pas là pour plaire et il n’a pas à étouffer la vérité pour se rendre sympathique. Nous infligeons des blessures et nous en recevons. Si tu te sens blessé par ton frère, va rencontrer ton frère, nous dit l’Évangile. Si je suis blessé par un numéro de Charlie Hebdo, je dois l’exprimer, mais sans rancune, fraternellement. Le saint curé d’Ars, saint Jean-Marie Vianney, dont je dirige le sanctuaire, recevait des gens venus se confesser de toute la France. Au plus grand des pécheurs, il disait : « Cela a dû être dur pour toi de vivre ainsi loin de Dieu et de tes frères. » On peut dire la vérité avec tendresse.

La tendresse n’étouffe pas certains de vos adversaires. Le geste de l’Église, qui a fait sonner le glas à Notre-Dame pour les victimes de Charlie Hebdo, n’a suscité que mépris et moqueries dans le numéro publié après l’attentat. Alors, on dirait que, chez pas mal de cathos aussi, l’humeur est à la colère plutôt qu’à l’humble tendresse que vous recommandez…

Je vous ferai la même réponse que saint François de Sales, qui prêchait de répondre au mal par le bien. Un jour, quelqu’un l’a apostrophé : « Ainsi, quand on reçoit une gifle sur la joue droite, il faut tendre la joue gauche ? Et si je vous en donne une, maintenant ? » « Essaye toujours », a répondu saint François de Sales.[access capability= »lire_inedits »] Il connaissait son humanité, donc ses limites… Moi aussi, certains jours, je me mets en colère, je perds parfois patience et n’aime pas toujours comme le Christ aimerait. Reste que les catholiques ne doivent pas faire métier de se défendre eux-mêmes, comme s’ils étaient une forteresse assiégée menacée par le monde extérieur. Le chrétien est d’abord appelé à protéger les plus faibles, et il sera plus crédible pour prendre la défense des catholiques méprisés dans leurs convictions intimes si, pour commencer, il se conforme à cette option préférentielle pour les pauvres et les malheureux. Autrement, nous risquons de nous enfermer dans une spirale nombriliste et de perdre notre temps à accuser nos ennemis.

Pardon d’insister, mais nombre de croyants ne possèdent pas votre sagesse et, du mépris affiché à gauche pour La Manif pour tous aux chrétiens d’Orient censurés par la RATP, ils ont parfois des raisons de se sentir, sinon insultés, du moins traités avec une certaine désinvolture. 

Écoutez, pendant des siècles, l’Église a exercé un monopole sur les esprits, on peut comprendre que cela ait suscité de l’anticléricalisme en réaction et, qu’aujourd’hui encore, elle fasse peur à certains. Face à l’hostilité ou à la méfiance, on peut s’indigner, brandir sa dignité offensée, et l’hostilité redouble. Pour ma part, je crois qu’il ne faut pas couper les ponts avec le reste de la société, et qu’on doit dialoguer sur la base de la raison. Et puis, ne commençons pas toujours par juger l’autre. Quand il se rendait dans les bidonvilles de Buenos Aires, le pape François ne se demandait pas si les gens étaient de bons chrétiens, ni des chrétiens tout court. Oui, nous avons un message, mais nous devons le proposer, pas l’imposer.

D’accord, mais Cécile Duflot aussi veut s’occuper des pauvres, elle veut même les mettre dans les églises ! Qu’on le veuille ou non, l’histoire de la France est très largement catholique, plus que juive ou musulmane, par exemple. Or, sous couvert de lutter contre une hégémonie heureusement révolue, c’est avec tout ce passé qu’un certain progressisme aimerait en finir. La France peut-elle cesser d’être catholique ? 

La culture française est indéniablement marquée par le christianisme et le catholicisme à tous les niveaux : l’art, la littérature, la pensée elle-même… Mais l’Église n’a rien à gagner à pleurer les oignons d’Égypte. Elle devrait plutôt se réjouir de bénéficier d’une culture et d’une langue fondamentalement compatibles avec son message. Pour dire notre foi trinitaire en Inde, il faut apprendre les métaphysiques indiennes, admettez que ce n’est pas évident. Comme l’a souligné Benoît XVI dans sa conférence, très appréciée, au collège des Bernardins, la culture française n’est pas un monde étranger au prétexte qu’elle s’est libérée du pouvoir institutionnel de l’Église, c’est une chance. Bien sûr, cette chance a son revers. En Afrique ou en Papouasie, on peut toucher des gens qui ne connaissent pas encore bien le Christ avec des mots simples. En France, où on est averti sur le christianisme et ses excès, les plus belles paroles du monde peuvent se fracasser contre la logique du soupçon.

Peut-être y a-t-il un catholicisme pour la pensée et un autre pour le cœur. Et dans le fond, avec l’élection du pape François, le second a succédé au premier. 

Si vous laissez entendre que Benoît XVI était un pape pour intellos, ce n’est pas faux. Cela ne l’empêche aucunement d’être extrêmement attentif aux personnes qui lui sont proches et, dans ses textes lumineux, la charité est centrale. Il n’en est pas moins vrai qu’il s’est investi dans la théologie bien plus que dans la pastorale. Le pape François œuvre presque exclusivement dans la pastorale. En quelque sorte, il met en pratique la théologie de l’amour du pape Benoît XVI en nous rappelant que l’enracinement spirituel, la célébration liturgique, doivent déboucher sur du concret, sur du social, au service de l’humanité d’aujourd’hui. Et à la différence de Benoît XVI, qui est timide, lui est à l’aise dans les relations, il rencontre les gens, il les appelle…

Après tout, si on en croit le chercheur Gaël Brustier, la nouvelle visibilité des catholiques est née à la jonction des courants traditionaliste et charismatique. En somme, La Manif pour tous aurait réalisé la synthèse entre le style Benoît XVI et le style François ? 

Il est certain qu’un même souci de l’avenir de la société rassemble des gens de sensibilité plus traditionnelle et d’autres qui sont plus proches des mouvements charismatiques. J’ajoute que la venue du pape François a encouragé la mobilisation d’une troisième composante, plus portée sur l’action caritative ou humanitaire, sur la solidarité concrète. Et il y a aussi une tendance plus intello. Si tous ces pôles de la vie chrétienne savent se rencontrer, un avenir très prometteur s’ouvre pour l’Église. Et, justement, la force du pape François est de savoir tisser des liens entre toutes ces tendances.

Paradoxalement, alors qu’il est décrit comme un « pape de gauche », le catho de gauche semble appartenir en France à une espèce menacée, voire en voie d’extinction….

Vous vous trompez, sans doute parce que les catholiques de gauche sont souvent les plus âgés. De toute façon, le pape a fait litière du cliché du pape de gauche dans la revue jésuite Civiltà Cattolica. Il est sain que le monde catholique soit pluraliste et que certains votent à gauche, et d’autres à droite. Le chrétien est libre. Mais l’essentiel, c’est que, comme le Christ, il soit au service de l’homme…

L’affirmation, à travers ce nouveau pontificat, d’un catholicisme plus convivial, plus chaleureux n’aurait-elle pas quelque chose à voir avec la concurrence des évangélistes d’un côté et de l’islam de l’autre ? 

À travers le courant évangélique, c’est encore le Christ qui nous dit que nos paroisses sont parfois trop tristes et trop froides. Il est vrai aussi que certaines communautés évangéliques peuvent dériver en sectes unies autour d’un gourou, mais même un curé peut se transformer en gourou, si on n’y prend pas garde. Quant à l’islam, c’est une immense religion qui a certainement des choses à nous dire. J’ai rencontré parmi les musulmans l’hospitalité d’Abraham, l’hospitalité dont parle Jésus, et je me dis que le Christ me parle à travers ces beaux visages musulmans.

Il n’est pas sûr que les chrétiens du Niger ou du Nigéria partagent votre opinion…

Il faut distinguer les musulmans des extrémistes qui disent se nourrir de l’islam.

Sans doute, mais les sociétés musulmanes dans leur ensemble ne sont pas des exemples de tolérance : dans les pays arabes, il n’y a plus de juifs et beaucoup de chrétiens ont peur. 

C’est incontestable, mais il y a aussi beaucoup de musulmans courageux, qui veulent retrouver l’islam de Cordoue, celui qui a fécondé l’humanisme européen, et nous devons les aider. Et en même temps, nous devons demander clairement et fraternellement aux musulmans d’autoriser l’expression libre du christianisme, y compris si un musulman veut devenir chrétien. Je l’ai souvent fait autour d’un bon couscous…

En attendant, en France, on voit plutôt des chrétiens devenir musulmans. Les catholiques doivent-ils apprendre à vivre comme une minorité ? 

Nous sommes statistiquement moins nombreux, et nous le serons de moins en moins. Mais alors que, il y a un siècle, seuls des prêtres et des clercs avaient le droit à la parole, aujourd’hui nous voyons des laïcs, des baptisés, qui se prennent en main, lancent des initiatives, s’engagent dans la Cité. Alors oui, notre Église devient minoritaire, mais avec des fidèles actifs et engagés. Croyez-moi, on gagne au change !

À vous entendre, le catholicisme doit accepter de devenir une religion parmi d’autres en France et, par la même occasion, une communauté…

Au contraire, à mon avis, le christianisme n’est pas d’abord une religion. J’ai peur des religions, car elles peuvent se transformer en idéologies peu soucieuses de laisser sa place à l’homme. Encore une fois, le Christ considérait les personnes sans se soucier de leur appartenance. Et les chrétiens sont appelés à avoir l’attitude du Christ, à partir d’une riche expérience communautaire. Dans les rencontres interreligieuses que j’organise, je tiens beaucoup à la présence d’incroyants et d’agnostiques. Nous devons résister à tout prix à la tentation de l’enfermement communautaire.

Fort bien, mais est-ce toujours le cas ? Ne voit-on pas au contraire se constituer un catholicisme identitaire soucieux d’obtenir son dû dans la compétition victimaire ?

Nous ne pouvons être victime qu’en aimant et en pardonnant : « Ceci est mon corps pour vous ! » C’est la réinterprétation du sacrifice que fait Jésus. C’est seulement de cette manière que l’Église peut avoir un impact dans la société. « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices. » Le reste relève du manque d’amour et, quelquefois, du péché du chrétien. Nous pouvons demander pardon et nous laisser renouveler. L’amour transformera le monde et le sauvera.

En tout cas, l’irruption des cathos sur la sphère publique ne va pas sans tensions ou au moins sans débats. Sentez-vous un désir de remettre en cause la laïcité ou est-ce une affaire réglée ? 

Quand je vois ce qui se passe ailleurs dans le monde, je me dis que la laïcité constitue vraiment une avancée pour l’humanité. Et le Christ y est pour quelque chose – « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » – même si, bien sûr, d’autres traditions et d’autres pensées ont contribué à la réinventer sous sa forme française spécifique. À ce titre, je suis fier d’être français, et je suis fier de la laïcité. Mais je n’aimerais pas qu’elle se transforme en idéologie laïciste et, au final, en nouvelle religion.

Et pensez-vous que c’est ce qui se passe ? 

De part et d’autre, nous sommes encore trop dans l’irrationnel et pas suffisamment dans un dialogue de raison. Comme l’affirmait récemment Mgr Pontier, « il ne faut jamais oublier qu’on ne gagne rien à humilier une catégorie de citoyens, les membres d’une religion, voire même le fait religieux. L’humiliation prépare à plus ou moins long terme des violences revanchardes redoutables ». À l’instar des musulmans, beaucoup de jeunes chrétiens sont lassés par l’image qui est donnée du christianisme et des chrétiens. Beaucoup subissent encore des moqueries, des réflexions à l’emporte-pièce de la part d’enseignants bien éloignés de la laïcité demandée par l’État à ses fonctionnaires. Il est de plus en plus compliqué de créer des aumôneries en milieu scolaire. L’obtention de subventions pour des activités éducatives et de loisirs (camps de vacances et autres) dépend de l’ouverture d’esprit des fonctionnaires concernés. Les sections « religions » des bibliothèques et médiathèques sont le plus souvent inexistantes ou inconsistantes. Et on pourrait allonger encore cette liste, qui n’est pas accusatrice mais douloureuse.

Tout cela contribue aussi à fragiliser notre société, qui semble renier son passé en même temps qu’elle plombe son présent, n’ayant d’autre idéal à proposer qu’un individualisme moral, économique et social mortifère. Aussi faut-il saluer la prise de conscience qui nous pousse à retrouver des valeurs communes pour fortifier le désir de vivre ensemble dans notre diversité.

Ceux qui revendiquent, comme nous le faisons à Causeur, le droit de se moquer de n’importe quelle religion et de n’importe quel prophète défendent-ils, selon vous, une laïcité idéologique ou croyez-vous au contraire que les croyants doivent accepter qu’il y ait une douleur de la liberté ?

Oui, il y a une douleur de la liberté, et nous devons la supporter. Bien sûr, je peux protester contre des expressions ou des images irrespectueuses ou offensantes, mais ce n’est pas en récriminant ou en accusant que je ferai aimer Jésus ou Mahomet, c’est en l’aimant authentiquement, de sorte que ma joie sera contagieuse, comme celle d’un garçon et d’une fille amoureux. Si le chrétien aime vraiment le Christ et son Évangile, alors, caricatures ou pas, il fera partager son amour.

En clair, vous désapprouvez ceux qui recensent les insultes, parlent de « cathophobie » et intentent des procès ?

J’ai bien plus peur des chrétiens tristes que des caricatures du Christ. En vérité, les chrétiens tristes sont une très mauvaise caricature du Christ.[/access]

*Photo : wikicommons.

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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