Quand on veut philosopher dans le boudoir et qu’on n’est pas le Marquis de Sade, il faut montrer patte blanche. Et pour être admis dans le sérail rose où seuls peuvent pénétrer (oh pardon!) les eunuques, on sait qu’il convient de taper sur « le choc des civilisations », marqueur absolu de la noirceur réac et facho. Dans le dictionnaire des idées reçues de la gauche, bien plus pauvre que celui de Flaubert, la notion de « choc des civilisations » est obligatoirement assortie de la mention « hurler contre ».
Ayant satisfait à ce rituel, qui est l’équivalent de la « limpieza di sangre » exigée par les inquisiteurs espagnols, Ruwen Ogien s’exprima. Philosophe de son métier, membre du CNRS, il tient un blog à Libération : c’est dire s’il est AGC (appellation de gauche contrôlée). Son texte aurait pu tenir en deux lignes percutantes et bien senties : « Choc des civilisations beurk beurk ! Multiculturalisme miam miam ! ». Mais pour des raisons de mise en page, il a été contraint de faire plus…
Pour illustrer sa pensée apitoyée sur les pauvres immigrés qu’on voudrait forcer à s’intégrer, il a eu cette formule ô combien juste et lumineuse : « Dans le pedigree qui fonde l’identité française, il y a « l’arrogance culturelle, le passé colonial, le conservatisme moral, la xénophobie latente, le culte de la rente, le goût de l’alcool » ». La rente ? Les derniers livres qu’a lus le philosophe sont certainement ceux de Balzac, Le Père Goriot, Gobseck… c’est pourquoi Ruwen Ogien semble vivre toujours sous le règne de Louis-Philippe et de Guizot (« enrichissez-vous »), encerclé par des petits bourgeois ventripotents et rentiers, massacreurs du peuple.
Ce qui lui permet de mettre en lumière la détresse ignorée jusqu’à lui qui étreint les âmes sensibles des jeunes de banlieue. Ainsi il s’écrie, douloureusement on suppose : « Un immigré devrait-il devenir culturellement arrogant, fier du passé colonial, moralement conservateur et alcoolique sur les bords pour être un bon Français ? ». Nous avons ouï dire que de pathétiques controverses se tiennent le soir à Stains où, adossés au mur de leur barre d’immeuble, Driss, Mamadou et Jamel se lamentent. « T’as envie de d’venir un céfran bourré comme Depardieu et xénophobe, toi ? » « Ah ça non ! » À la suite de quoi ils sont tentés de s’intégrer à un groupe assez lointain, quelque part en Irak et en Syrie, qui est sans pitié avec les alcooliques. Mais Driss, Mamadou et Jamel n’ont pas compris toutes les subtilités du philosophe. « La rente, c’est quoi, ça ? ». Perplexité. Puis Mamadou, le plus vif d’entre eux, trouve : « ça doit être une rente d’invalidité ». Ce qui les conforte dans l’idée que le céfran alcoolisé et xénophobe est aussi un handicapé physique.
Je me suis regardé dans une glace. Quelques efforts étaient nécessaires. Je me suis enfourné une dizaine de tartines de rillettes que j’ai noyées dans une vingtaine de verres de Ricard et j’ai mis mon casque colonial. C’était bien. Mais pas parfait. Manquait la baguette, attirail évident du parfait céfran. Complètement bourré, je suis allé en acheter une chez le boulanger du coin. Manque de bol, j’avais oublié qu’il était arabe. Il m’a viré.
*Photo : wikicommons.
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