Quelques lecteurs ont trouvé surprenante la romanisation des mots chinois dans mes chroniques. Le metteur en pages n’ayant pas été informé, quelques corrections intempestives et diverses petites incohérences s’y sont glissées. Cette livraison est donc une excellente occasion de bien fixer mes règles et les expliquer.
Contrairement à une rumeur sans fondement, le chinois moderne n’est pas une langue monosyllabique, la plupart des mots comptent deux ou trois syllabes :
Parapluie 雨傘YuSan
Prison 監獄 JianYu
Préservatif 保險套 BaoXianTao
Littérature 文學 WenXue
Mais, à la différence du français, chaque syllabe en chinois correspond à un caractère, et chaque caractère a un sens. Les Chinois vivent donc, en quelque sorte, dans l’étymologie de leur langue et ils y sont attachés. Par exemple «ZhongGuo» 「中國」(la Chine) compte deux caractères, deux syllabes, la première signifie «milieu», la seconde «pays». Un peu comme en français «faux-col» compte deux syllabes et chacune d’elle a un sens. Mais, en français c’est rare : dans «cheval», «che» n’a pas de sens, pas plus que «val».
C’est pour marquer le caractère polysyllabique du chinois que les sinologues occidentaux avaient utilisé le tiret pour relier et rapprocher les syllabes. Mais pour les profanes, le tiret est devenu plus un signe d’éloignement que de rapprochement.
Donc je préconise, comme bien d’autres, que le tiret soit supprimé. Mais, pour bien marquer les syllabes, il paraît logique d’utiliser une capitale à l’initiale de chacune d’elles : «ZhongGuo» 「中 國」 (la Chine), «FaGuo» 「法國」 (la France), «GuangDong» 「廣東」 (la province dont la capitale est «GuangZhou» 「廣州」, i.e. Canton).
Sur le fond, quelles sont historiquement les différentes romanisations du chinois ? Et quelle est celle que j’utilise ?
Rappelons que l’écriture chinoise n’est pas phonétique et que rien ne permet de savoir comment un caractère se prononce précisément, un peu comme les chiffres arabes s’écrivent sans que rien ne permette de discerner leur prononciation.
L’avantage c’est que les mêmes chiffres sont prononcés de manière différente dans différents pays, mais partout compris sous leur forme écrite. De la même façon, les caractères chinois restent intangibles, même s’ils sont prononcés de manière différente selon les régions et les dialectes de la vaste Chine (et même dans le cas des kanji – ce qui veut dire «caractères chinois» – dans l’écriture japonaise).
La romanisation qui a été le plus usitée mondialement jusqu’en 1949 était la «Wade-Giles» du nom de deux sinologues britanniques, avec des conventions de prononciation anglo-saxonnes. En France, on a adopté celle de l’Ecole française d’Extrême Orient (EFEO). Mais les Postes chinoises d’avant 1949 utilisaient des transcriptions différentes pour les noms de lieux : «Foochow» par exemple pour la ville de «FuZhou» 「福州」, qu’en EFEO on écrit «Fou-tcheou», et en Wade-
Giles «Fu-chou».
La République populaire de Chine, autrement dit la Chine communiste, a promulgué un nouveau système, le PinYin, qu’elle a élaboré avec certains linguistes soviétiques. Le PinYin est aujourd’hui accepté pratiquement dans le monde entier. Il souffre toutefois de deux défauts :
– Certaines conventions de prononciation sont peu évidentes pour les francophones : dans «RenMin RiBao»「人民日報」 (pour Le Quotidien du peuple), le R se prononce comme un J français. Alors que le J du PinYin se prononce «ts’i», etc.
– Le PinYin a une «odeur maoïste», qui déplaît aux démocrates. Mais, en capitalisant l’initiale des syllabes, les démocrates marquent leur différence et font preuve de bon sens.
Certains usages particuliers, individuels ou historiques, ont cependant subsisté. Par exemple les Français continuent d’utiliser Pékin, Nankin, Canton.
Pour certains noms de personnes, on a conservé celui qui avait été choisi par les intéressés :
Lee Kwan-yew 李光耀, Li GuangYao en Pinyin,
Sun Yat-sen 孫逸仙, Sun YiXian,
Chiang Kai-shek 蔣介石, Jiang JieShi.
La romanisation a-t-elle quelque chose à voir avec le débat sur les «caractères traditionnels» et des «caractères simplifiés» ? Non. C’est un tout autre débat qui repose sur des considérations historiques et politiques que l’on peut ainsi résumer :
Tous les caractères chinois sont composés de traits de base, simples et peu nombreux (moins de 12) , mais ils peuvent être complexes, et compter jusqu’à 36 reprises de ces 12 traits. Au cours des siècles, des graphies simplifiées sont apparues, au fil du pinceau puis du stylo, personnelles mais homogènes, car l’ordre (immuable) des traits que l’on trace dicte des simplifications calligraphiques identiques. La tentation a donc été grande de normaliser en typographie ces simplifications d’usage manuscrit ancien.
C’est ce que décidèrent les dirigeants de la Chine communiste qui créèrent ainsi une écriture chinoise simplifiée. Mais en fait l’objectif du pouvoir maoïste fut de priver les nouvelles générations de la possibilité de lire les ouvrages anciens, pas forcément très anciens ou classiques, mais tous les livres d’avant le maoïsme. Cette «simplification» heureusement n’a pas été adoptée à HongKong, ni à Taiwan (seulement à Singapour en dehors de la Chine).
S’ensuivit l’émergence, en Chine, d’une «classe supérieure aux autres», désormais assez nombreuse, celle qui sait lire (comme Mao) les ouvrages anciens (que Mao lisait avec délectation) et celle des gens ordinaires et peu lettrés qui ne peuvent lire que les journaux et ouvrages récents, dont les Œuvres du Président Mao !
Avec l’informatique, on peut très facilement – et sans délai – “passer des traditionnels aux simplifiés”, pour des textes même très longs, en frappant une seule touche de son clavier. Mais le contraire, dans l’autre sens, des simplifiés vers les traditionnels n’est pas aussi automatique. Heureusement, les progrès de l’informatique ont considérablement réduit cet obstacle.
Voici deux exemples :
「說話」 ShuoHua “parler” est devenu 「说话」 par “simple” simplification de la “clé”, c’est-à-dire la partie gauche du caractère. Elle correspond à cette simplification manuelle traditionnelle et elle ne pose pas de problème!
Mais 「頭髮」 TouFa “cheveux” est devenu 「头发」 et 「開發」 KaiFa “développer” est devenu 「开发」: il est bien sûr dommage de confondre les deux caractères Fa, qui ont une étymologie et un sens totalement différents.
Un équivalent français imparfait pour tenter de faire comprendre le goût et l’odeur de la “nouvel ortograf maoyst” : “Se metre d’ekol et in foku” restitue à peu près l’impression qu’un Parisien aurait si un “frankofon maoyst du kanada” ayant “réformé” l’orthographe voulait lui écrire “ce maître d’école est un faux-cul”. Mais l’impression pour un Chinois à la lecture des simplifications-restrictions maoïstes est bien plus profonde puisque ce qui est en cause c’est la tragique perte du sens d’un trop grand nombre de caractères.
D’où de multiples occasions de plaisanteries. Par exemple, un “sèche-mains” 「乾手機」 taiwanais, sur le continent chinois devient “une machine à masturber ou à niquer” 「干⼿机」 car trois caractères traditionnels 「乾」「幹」「干」ont été remplacés par un seul et unique caractère simplifié 「干」.
Les Taiwanais n’ont donc pas de problème s’ils doivent diffuser une note de service auprès de leurs employés chinois en Chine continentale post-maoïste. Mais les nombreux touristes chinois qui visitent Taiwan doivent apprendre les graphies traditionnelles des menus de restaurants, des journaux qu’ils lisent avidement, etc. Cela ne leur est pas très difficile, les amuse, et les encourage à enseigner les caractères traditionnels à leurs enfants pour qu’ils puissent lire les nombreux livres qu’ils rapportent de Taiwan en Chine.
Faut-il rappeler que tous les Taiwanais savent lire et écrire les caractères traditionnels. Pourquoi les Chinois du continent éduqués sous le régime maoïste ou post-maoïste en seraient-ils incapables ?
Lire des caractères simplifiés, c’est comme manger des surimis (du poisson reconstitué et parfumé), ou un petit-pot-pour-bébés, ou boire un jus de fruits en boîte, au lieu de déguster un fruit que l’on épluche en pensant à l’arbre et au verger, un légume que l’on reconnaît dans son assiette, un morceau de viande qui se laisse comprendre et qu’on entend presque mugir, un sashimi dont le poisson vient de vous faire un dernier clin d’oeil de l’autre côté du comptoir sous le couteau du maître-poissonnier.
Une anecdote – que l’on vient de me raconter – peut aider à comprendre : Mouton Rothschild a publié une superbe brochure illustrée sur l’histoire de ce grand vignoble, en caractères simplifiés. Un riche (on comprend pourquoi) Chinois s’étonnait de cette aberration : «Comment peut-on faire la promotion d’un premier grand cru classé comme Mouton Rothschild en caractères simplifiés — qui devraient être réservés au Mouton Cadet». Cette condescendance est un héritage du Président Mao et une «ruse de l’histoire» 「歷史的詭計」 “LìShǐ De GuǐJì” : ce qui était une simplification à visées restrictives, a entrainé l’émergence d’une nouvelle «classe» élitiste en Chine post-maoïste.Et en avant pour une nouvelle «lutte des classes» 「階級鬥爭」 “JiēJí DòuZhēng” !
Mais, on l’aura compris, il s’agit rarement d’une question de luxe, plutôt simplement de plaisir et de volupté, pour les gens modestes tout autant : un Chinois – même désargenté – éprouve un grand bonheur à pouvoir lire et comprendre la littérature populaire des siècles précédents, des Bords de l’eau à La Chair comme tapis de prière. Ceux qui ont tenté d’éliminer les caractères chinois sont les mêmes qui ont détruit la plus grande partie de Pékin et qui s’acharnent à démolir, même après la «révo. cul.» tous les vestiges culturels du passé. Qu’attend l’UNESCO pour classer les caractères chinois traditionnels au titre des trésors de l’Humanité ? Ils existent, inchangés et pourtant commodes, et beaux, depuis plus de vingt siècles, écrits avec des pinceaux en poil de loup ou sur les smartphones. Voilà qui mérite quand même un peu de considération.
Les lecteurs auront remarqué, dans le paragraphe plus haut, des diacritiques sur certaines voyelles de la romanisation PinYin : c’est pour marquer les “tons”. Il y en a quatre en «mandarin» i.e. le GuanHua 「官話」, c’est-à-dire la prononciation standard du chinois, celle de la Chine du Nord devenue langue nationale voici plusieurs siècles. Mais dans l’usage courant, pour les étrangers, les tons ne sont pas marqués dans les diverses romanisations.
En France, l’enseignement de la langue chinoise est assuré le plus souvent dans les deux écritures, caractères simplifiés et traditionnels, qui sont donc proches, tout en étant séparées —— comme sont séparées Taiwan et la Chine par le Détroit de Formose et par… deux systèmes d’écriture. Le slogan «un pays, deux systèmes» 「一國兩治」 “YīGuó LiǎngZhì” a donc un second sens. Le paradoxe c’est que les maoïstes chinois du continent, en maintenant la simplification des caractères chinois dans les journaux, etc. auront prolongé d’autant la «séparation entre les deux Chine(s)», la République populaire de Chine et la République de Chine dans l’île de Formose. «L’unification» des deux Chine(s) attendra donc un peu plus, à cause des linguistes, et du Président Mao !
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